Les xenobots : des robots biologiques capables de s’auto-reproduire

Un organisme « parent » (xenobot) conçu par l’IA (forme C) à côté de cellules libres comprimées en une boule (xenobaby). Crédits : Doug Blackiston et Sam Kriegman

Tout a commencé en janvier 2020, lorsque des scientifiques de l’Université du Vermont, de l’Université Tufts et du Wyss Institute for Biologically Inspired Engineering de l’Université de Harvard ont annoncé avoir transformé des cellules souches prélevées sur des embryons de grenouilles africaines en minuscules créatures, appelées xenobots en référence au genre Xenopus des grenouilles utilisées. Les xenobots étaient alors capables de se déplacer seuls, de communiquer entre eux et de se guérir d’une blessure, ce qui en faisait les tout premiers robots « vivants ». Près d’un an après, les chercheurs ont annoncé avoir trouvé, grâce à l’intelligence artificielle (IA), un modèle biologique permettant à ces créatures de s’autoreproduire, faisant ainsi des xenobots les premiers robots biologiques auto-reproducteurs au monde conçus par IA.

Des robots biologiques ayant la forme de Pac-Man

Ces nouveaux xenobots ont d’abord été conçus par un programme d’IA sur le superordinateur de l’Université du Vermont. L’IA a exécuté un algorithme évolutionniste capable de tester des milliards de formes de corps biologiques dans une simulation dont l’objectif était de découvrir quelles configurations de cellules étaient capable de s’auto-répliquer. L’IA a produit un modèle gagnant : un groupe de cellules ayant la forme de Pac-Man, le jeu d’arcade emblématique des années 1980.

Le biologiste de l’Université de Tufts et du Wyss Institute, Douglas Blackiston, s’est appuyé sur ce modèle issu de l’IA et a utilisé des électrodes de micro-cautérisation ainsi que des pinces chirurgicales pour sculpter à la main les xenobots : https://youtu.be/r7bQ4IL54kQ.

La sculpture d’une forme sur mesure à partir de cellules souches est la « programmation » qui ordonne aux groupes de cellules de se développer d’une certaine manière. En donnant à un groupe de cellules de grenouille cette configuration spécifique, on les programme pour qu’elles deviennent une nouvelle forme de vie auto-reproductible. « Il s’agit d’une IA qui conçoit la vie, ou qui conçoit un robot, quel que soit le nom qu’on lui donne », explique Blackiston. « Ce sont des choses qui ne sont pas du ressort de la sélection [naturelle] ». 

Les xenobots, mesurant moins de 1 mm de large, sont composés de clusters de 3000 à 5000 cellules de grenouille nageant dans une boîte de pétri. En utilisant de minuscules structures ressemblant à des cheveux, appelées cils, les xenobots peuvent se déplacer dans leur environnement. Ils ont tendance à tourner en tire-bouchon, ce qui « s’avère très utile pour rassembler des tas de choses », comme d’autres cellules, explique M. Blackiston (https://youtu.be/zuo2DP72vKQ).

Pour se former, ces organismes conçus par ordinateur et assemblés à la main peuvent nager dans leur minuscule boite, trouver des cellules libres, en rassembler des centaines et assembler des « bébés » xenobots (xenobabies) dans leur « bouche » en forme de Pac-Man – qui, quelques jours plus tard, deviennent de nouveaux xenobots qui leur ressemblent et bougent comme eux.

Les organismes conçus par l’IA (xenobots, en forme de C) empilent les cellules libres (en blanc) lorsqu’ils se déplacent dans leur environnement. Crédits : Doug Blackiston and Sam Kriegman

Des cellules de grenouille ajoutées au hasard dans la boîte donnent aux xenobots parents la matière première nécessaire pour produire leur progéniture. En ajoutant des cellules de grenouille, l’auto-réplication se poursuit de génération en génération.

Ce processus de reproduction, appelé réplication cinématique, est très courant, mais uniquement chez les molécules. « Aucun animal ou plante connu de la science ne se reproduit de cette manière », a déclaré le Dr. Sam Kriegman, auteur principal de la nouvelle étude, qui a obtenu son doctorat dans le laboratoire du Pr. Joshua Bongard à l’Université du Vermont et est maintenant chercheur post-doctorant au Allen Center de Tufts et au Wyss Institute.

A l’origine, une idée datant d’il y a plus de 70 ans

C’est en 1948 que le mathématicien américain d’origine hongroise John Von Neumann a proposé l’idée d’un robot autonome capable d’utiliser des matières brutes pour se reproduire. Aujourd’hui, la vision de Von Neumann est réalisée, à une différence près : le robot auto-réplicateur n’est pas fait d’aluminium, de plastique, d’engrenages ou de pignons. Le robot parent et ses progénitures sont entièrement biologiques. « C’était passionnant de voir que nous pouvons [fabriquer] cette machine de Von Neumann, mais en utilisant des cellules au lieu de pièces de robot », explique Sam Kriegman.

Les chercheurs qualifient les xenobots de « machines », même s’ils ne contiennent pas un seul composant mécanique. « Je pense que cela nous met au défi de voir qu’il n’y a peut-être pas de ligne de démarcation claire entre machine et organisme », déclare Joshua Bongard, professeur d’informatique à l’Université du Vermont.

Ce qui rend cette découverte si remarquable, c’est que les xenobots se sont reproduits d’une manière qui n’existe pas dans le monde animal.

Des robots intelligents ? 

Lorsqu’on lui demande si les xenobots sont intelligents, Blackiston émet des réserves. Parmi les deux informaticiens et les deux biologistes de l’équipe de recherche, Blackiston est plus à l’aise pour qualifier les xenobots d’organismes programmés, l’intelligence intervenant au niveau de la conception et de la programmation, mais pas dans le xenobot lui-même. « Mon opinion est qu’ils ne sont pas intelligents », déclare-t-il. Il convient toutefois avec le reste de l’équipe que leurs travaux remettent en question les définitions scientifiques. « [Les définitions] sont en voie d’extinction à cause de ces technologies », déclare Joshua Bongard. « Les xenobots sont un produit de l’IA et l’IA elle-même contribue à faire disparaître nos définitions standard de l’intelligence. »

Mais cela inquiète certains scientifiques. Nita Farahany, professeur de droit et de philosophie à l’université Duke et qui étudie l’éthique des nouvelles technologies, a déclaré : « Chaque fois que nous essayons d’exploiter la vie […] nous devrions reconnaître que cela peut très mal tourner ».

Les chercheurs notent toutefois que, comme une hypothétique machine de Von Neumann, un xenobot ne peut se copier lui-même sans matières premières. Par conséquent, il n’y a d’après eux pratiquement aucune chance qu’ils puissent s’échapper du laboratoire et commencer à se reproduire par eux-mêmes. Il suffit aux chercheurs d’éliminer le stock de cellules souches en vrac pour qu’il n’y ait plus rien à partir duquel fabriquer de nouveaux xenobots. “Et comme il n’y a pas de matériel génétique provenant du xenobot parent, ils ne peuvent pas non plus muter ou évoluer par eux-mêmes”, explique Blackiston. De plus, les xenobots ne peuvent se reproduire que dans des conditions spécifiques.

Selon Douglas Blackiston, la société devra débattre de nombreuses applications et implications de cette nouvelle technologie, comme la question de la conception par l’intelligence artificielle de pièces de rechange pour les humains. « Que se passera-t-il si une IA bricole et découvre qu’elle peut concevoir un meilleur cœur que celui que l’évolution nous a donné ?” demande Blackiston, qui pense qu’il est possible que l’IA nous donne des plans pour créer des organes supérieurs à nos modèles actuels. « Je pense que nous allons voir ces questions surgir partout dans l’espace médical et environnemental dans les 10-15 prochaines années. »

Selon Bongard, le fait que l’intelligence artificielle soit capable de développer la capacité des xenobots à se reproduire pourrait être bénéfique pour tous les problèmes auxquels les créatures vivantes sont confrontées, comme les anomalies congénitales ou des maladies telles que des cancers. « Tous ces différents problèmes sont là parce que nous ne savons pas comment prédire et contrôler les groupes de cellules qui vont se construire. Les xenobots sont une nouvelle voie pour nous apprendre.”

Pour finir sur une note écologique, Joshua Bongard a également ajouté que cette technologie pourrait un jour être utilisée dans l’extraction de microplastiques de l’eau.

Rédactrice

Céline Duclos, Attachée adjointe pour la Science et la Technologie – Consulat Général de France à Boston, [email protected]

 

Pour lire l’article en question : https://www.pnas.org/content/118/49/e2112672118

Les scientifiques à l’origine des xenobots ont participé à un débat en direct le 1er décembre 2021 avec le Wyss Institute pour discuter des derniers développements de leurs recherches. Pour visionner la vidéo : https://youtu.be/FqkfBish_Ic

 

Sources :

https://www.uvm.edu/news/story/self-replicating-living-robots-spur-world-wide-media-blitz

https://www.forbes.com/sites/andreamorris/2021/11/29/ai-just-designed-the-worlds-first-robot-organism-that-can-make-babies/?sh=6d8dc8526345

https://www.usatoday.com/story/news/nation/2021/11/30/living-robots-reproduce-artificial-intelligence/8801610002/

https://www.sciencefriday.com/segments/self-reproducing-xenobots/

https://www.npr.org/2021/12/01/1060027395/robots-xenobots-living-self-replicating-copy

https://wyss.harvard.edu/news/team-builds-first-living-robots-that-can-reproduce/

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