L’IA pour la découverte de nouvelles thérapies: un domaine très actif en Silicon Valley

La découverte de nouvelles thérapies est un domaine à forts enjeux financiers et sanitaires et particulièrement complexe, et de fortes attentes reposent sur l'Intelligence Artificielle pour améliorer ce processus de découverte. La Silicon Valley héberge une forte concentration de compétences à la fois en informatique et en biologie, ce qui en fait un réceptacle idéal pour une forte innovation dans ce domaine. Pour autant, les effets de l'IA dans ce processus de découverte mettront probablement longtemps avant d'être visibles.

 

Des défis essentiels à relever en matière de nouvelles thérapies

L’Intelligence Artificielle pour la découverte de nouveaux médicaments est un ensemble de techniques faisant appel à des outils d’apprentissage machine qui visent à apporter une contribution au processus de découverte de nouveaux médicaments. Selon le rapport Facts and Factors[1], le marché mondial pour ce domaine était évalué à environ 591 millions de dollars en 2018 et devrait atteindre une valeur d’environ 12 135 millions de dollars d’ici 2027, avec une croissance estimée d’environ 39,8 % entre 2019 et 2027.

Outre son volet financier, la recherche de nouveaux médicaments est aussi un sujet à fort enjeu sanitaire. En effet, un grand nombre d’affections restent à ce jour sans thérapies, et seule une fraction des 7000 maladies rares connues a aujourd’hui un traitement. Mais le processus de test et de mise sur le marché d’un nouveau médicament est complexe, très long et très onéreux. Le prix moyen du développement d’un nouveau médicament est estimé à 2,6 milliards de dollars[2] avec une durée moyenne totale de 10 à 15 ans entre le démarrage de la recherche et la mise sur le marché. En effet, une fois la molécule conçue, elle doit passer des essais cliniques visant à évaluer sa toxicité, son efficacité, afin de faire valider le médicament par les agents de régulation avant la mise sur le marché. La taille des cohortes de test dépend des stades du test clinique, et les derniers stades nécessitent des centaines voire des milliers d’individus. Pour chaque série de tests, les frais sont quasi-incompressibles et proportionnels au nombre d’individus recrutés. A chaque étape, le taux d’échec est important (environ 90% entre les premiers tests cliniques et une autorisation de mise sur le marché) et la toxicité d’un médicament peut être détectée tard dans le processus, alors que beaucoup de frais ont déjà été engagés.

Ces délais très longs et ces taux d’échec importants handicapent considérablement l’innovation pharmacologique, d’autant plus que ces taux et délais tendent à augmenter tous les deux, les molécules les plus faciles à trouver ayant déjà été découvertes. Ainsi, l’IA est vue comme une solution pour tenter de réduire les coûts, les délais, et améliorer l’efficacité globale de ce processus.

 

Un impact qui pourrait changer la donne en matière de nouveaux médicaments

La suggestion de nouvelles molécules candidates est un positionnement intuitif pour l’IA mais il est loin d’être le seul. Le processus de développement comporte de nombreuses étapes, et les outils d’IA peuvent aider de multiples façons et à chacune d’entre elles. Ainsi, un algorithme d’IA peut extraire des informations utiles des bases de données de connaissances sur la biologie, les gènes, les interactions chimiques, de rapports de tests cliniques, etc. Avec celles-ci, elle peut identifier de nouvelles cibles thérapeutiques, trouver des molécules candidates nouvelles ou existantes pour une cible particulière, sélectionner les meilleures parmi celles-ci et surtout éliminer le plus tôt possible celles qui n’ont aucune chance de passer les tests cliniques afin que le moins d’investissements possibles ne soient engagés. Elle peut aussi préciser comment synthétiser les molécules candidates, recueillir des données d’essais cliniques, et les affiner davantage. L’IA peut aussi permettre d’optimiser les tests cliniques, par exemple en guidant le choix des individus afin de réduire le nombre de personnes dans les cohortes tout en rendant celles-ci représentatives et pertinentes.

Notons que l’IA n’est pas véritablement une révolution dans le domaine de la recherche de thérapies : des solutions analytiques très élaborées existent déjà pour aider au développement de nouveaux médicaments. Notamment, des modèles biophysiques et statistiques permettent de prédire les propriétés de certaines molécules et leur capacité à interagir avec des protéines cibles. Cependant, vu la grande diversité de facteurs à prendre en compte, la capacité des nouveaux programmes d’IA à faire des prédictions avec un grand nombre de variables pourrait changer radicalement la donne.  En effet, une IA peut prendre en compte les gènes des patients dans l’efficacité d’une thérapie, écarter d’emblée des molécules avec une faible solubilité ou une toxicité, leur absorption, le lien avec le métabolisme humain, les effets secondaires prévisibles, etc.

 

La baie de San Francisco, un écosystème très actif

Toujours selon le rapport « Facts and Factors »[3], les Etats-Unis vont prendre la plus grande partie de ce marché de l’utilisation de l’IA pour la découverte de médicaments, ce qui est attribué notamment au dynamisme des écosystèmes d’innovation. L’innovation dans le secteur de l’application de l’IA à la médecine nécessite un écosystème comportant de fortes compétences en matière d’informatique et programmation, mais aussi en biologie, qui doivent apprendre à dialoguer. Ces deux bassins de talents doivent de plus être en forte concentration afin de pouvoir satisfaire les besoins de croissance des entreprises dans le domaine. C’est pour cela que l’écosystème de San Francisco est l’un des plus dynamiques dans ce domaine. La concentration en acteurs académiques et industriels permet aussi la création d’un réseau dense de collaborations entre startups, laboratoires, et entreprises biomédicales.

Un exemple intéressant est celui d’AtomWise[4], une des entreprises leader en matière d’utilisation de l’IA pour la découverte de petites molécules thérapeutiques. Cette entreprise basée à San Francisco a été l’une des toutes premières à développer un réseau de neurones convolutionnel pour la découverte de médicaments[5]; celui-ci utilise la complexité prédictive et non-linéaire des réseaux de neurones pour modéliser les forces complexes d’attraction et de répulsion moléculaires présentes dans les interactions biochimiques. Cela permet de voir très rapidement parmi des milliards de composés lesquels pourront par exemple avoir une affinité avec une protéine cible tout en ayant les propriétés recherchées. Atomwise a signé pour plus de 5,5 milliards de dollars de contrats avec de grandes entreprises pharmaceutiques, a récemment levé 123 milliards de dollars en série B[6], et a obtenu une bourse de la fondation Bill et Melinda Gates pour développer de nouvelles thérapies contre la malaria et la tuberculose[7]. Atomwise a aussi fourni sa technologie dans plus de 750 collaborations de recherche. A travers ces collaborations, Atomwise a ainsi pu acquérir plus de données et peut maintenant effectuer du screening virtuel sur 16 milliards de molécules candidates.

 

Un impact sur le développement pharmaceutique qui prendra du temps à être mesuré 

IBM compte sur l’IA pour diminuer à terme par 10 le temps et le coût de production[8] de médicaments, mais rien ne permet cependant d’affirmer que cet objectif très ambitieux sera atteint un jour, et cela ne dépendra pas seulement des compagnies pharmaceutiques mais aussi des régulateurs. Les coûts et les délais actuellement incompressibles dépendent en effet des contraintes en matière de tests cliniques : nombre et durée des étapes, taille des cohortes. Notons ainsi que dans le cas des maladies orphelines, les contraintes en matière de tests cliniques sont considérablement allégées et le cycle de développement et de mise sur le marché d’un nouveau médicament peut par conséquent prendre 2 ans environ, contre 10 à 15 ans dans les autres cas.

A ce jour, aucun médicament proposé par une IA n’a été validé pour mise sur le marché. Si jamais il est démontré, par l’expérience, que l’IA permet de réduire les risques en matière de prédiction d’efficacité et de toxicité des médicaments, les régulateurs pourraient assouplir les obligations en matière de tests, ce qui entraînerait une diminution des coûts et délais. Julien Mamet, fondateur d’Adynxx, entreprise basée à San Francisco qui développe des médicaments innovants contre la douleur et les maladies inflammatoires, considère que si de telles réductions de contraintes à l’échelle globale de l’industrie du développement de médicaments sont envisageables, elles ne le seront probablement que sur le long terme.

Rédacteur :

Jean-Baptiste BORDES, Attaché pour la science et la technologie, [email protected]

 

 

[1] https://www.medgadget.com/2020/10/ai-for-drug-discovery-market-share-expected-to-reach-12135-million-by-2027-facts-and-factors.html

[2] https://www.nature.com/articles/d41586-019-03846-0

[3] https://www.medgadget.com/2020/10/ai-for-drug-discovery-market-share-expected-to-reach-12135-million-by-2027-facts-and-factors.html

[4] https://www.atomwise.com/our-technology/

[5] https://arxiv.org/pdf/1510.02855.pdf

[6] https://www.atomwise.com/2020/08/11/atomwise-raises-123-million-in-series-b-financing-co-led-by-b-capital-group-and-sanabil/

[7] https://www.atomwise.com/2020/10/06/atomwise-receives-grant-to-develop-new-therapies-for-drug-resistant-malaria-and-tuberculosis/

[8] https://www.zdnet.com/article/drug-development-in-a-year-ibm-bets-on-ai-robotics-to-ramp-up-molecule-research/

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