Le Dr Olivier Laurent est le directeur scientifique (Chief Scientific Officer, CSO) de Prometheus Biosciences, une société de biotechnologie pionnière dans l’approche de la médecine de précision et désormais filiale de Merck qui l’a acquise en juin 2023 pour près de 11 milliards de dollars. Olivier Laurent a rejoint Prometheus en 2020 en tant que responsable de la R&D et a joué un rôle déterminant dans le développement de médicaments de précision transformatifs pour les patients souffrant de maladies inflammatoires de l’intestin et d’autres maladies immunitaires. Il a auparavant exercé les fonctions de directeur scientifique chez Intrepida Bio, une société d’immuno-oncologie spécialisée dans le traitement des tumeurs solides fibreuse et chez Dauntless Pharmaceuticals, qui développait des médicaments pour le traitement de cancers et maladies métaboliques. Olivier Laurent a 25 ans d’expérience dans l’industrie pharmaceutique et a travaillé notamment chez Sanofi, Bayer Biotech, Genentech et Pfizer. Il faisait partie de CovX lors de son rachat par Pfizer et de l’équipe dirigeante d’Ambrx lors de sa vente à un consortium d’investisseurs chinois. Il est titulaire d’un doctorat en biologie cellulaire du CEA/Université de Grenoble et est un ancien élève de l’École Normale Supérieure de Lyon en France.
- Quel est votre rôle en tant que CSO de Prometheus Biosciences, et comment en êtes-vous arrivé là?
Le CSO, souvent appelé directeur scientifique en français, est la personne qui dans l’équipe dirigeante est responsable des activités de recherche et développement. A Prometheus, la R&D inclus l’identification de cibles moléculaires susceptibles de moduler des maladies inflammatoires, mais aussi la découverte et production d’anticorps thérapeutiques pour nos essais cliniques et la création de tests génétiques pour identifier les patients ayant les plus grandes chances de répondre à un traitement ciblé. Je travaille main dans la main avec notre CMO (Chief Medical Officer) en charge de toutes nos activités cliniques. La plupart des CSO ont un doctorat, dans mon cas en biologie cellulaire, suivi par une expérience de terrain en industrie. J’ai travaillé pour plusieurs grands groupes pharmaceutiques, Sanofi, Bayer, Genentech et Pfizer, où j’ai beaucoup appris sur le développement de médicaments et la gestion d’équipes.
- Pourriez-vous dresser un bref descriptif du paysage biotech à San Diego?
San Diego possède un écosystème biotech très dynamique, avec plus de 2000 établissements travaillant sur les sciences du vivant. On appelle la région « Biotech Beach » aux USA et l’industrie pharmaceutique y est un pôle d’activité primordial. La biotech a besoin de plusieurs « ingrédients » : recherche académique, jeunes pousses travaillant de concert avec les compagnies pharmaceutiques et une forte présence hospitalière académique. Des ingrédients tous réunis à San Diego.
- Quelles sont les forces de l’écosystème de San Diego pour l’innovation en sciences de la vie et de la santé ?
San Diego n’est pas aussi massif que les autres grands pôles de biotechnologie aux USA que sont San Francisco et Boston, mais nous avons un écosystème qui se démarque sur l’innovation précoces avec de nombreux instituts académiques de réputations mondiales : Salk Institute for BIological Studies, Scripps Research, University of California San Diego (UCSD), La Jolla Institute for Immunology et Sanford Burnham Prebys. Ces centres académiques participent activement à la création de nombreuses startups et à l’obtention de bourses mixtes privé/public du gouvernement américain.
- Identifiez-vous quelques faiblesses?
Nous manquons d’industries pharmaceutiques à San Diego, nous avons surtout de plus petites biotechs et une présence accrue de larges groupes pharmaceutiques serait une plus value pour la région. Similairement, UCSD est un excellent hôpital, mais il n’a pas la taille d’un système de santé comme Mass General qui aide énormément la recherche médicale centrée à Boston.
- Selon vous, qu’est-ce qui prépare les Français à des carrières scientifiques aux USA ? Comment expliquer leur succès ici ?
La formation scientifique en France est excellente. Les laboratoires américains ont coutume de dire que les meilleurs chercheurs postdoctoraux sont Français et Allemands. Les scientifiques français sont aussi rarement complaisants avec leurs résultats. Le côté un peu râleur des « gaulois » développe l’intransigeance scientifique et l’esprit critique ! Malheureusement, il peut aussi parfois décourager l’entreprenariat.
- De nombreux scientifiques français qui vivent une expérience à San Diego y restent. Qu’est-ce qui les retient ? Pensez-vous qu’ils exploitent mieux les compétences acquises en France aux Etats-Unis plutôt qu’ailleurs ?
San Diego offre un cadre de vie plutôt paradisiaque. La plupart des Français (et des Américains) qui viennent travailler à San Diego y restent pour faire du surf au soleil toute l’année ! D’un point de vue professionnel, les doctorats sont beaucoup mieux valorisés ici qu’en France, qui reste un pays très (trop) focalisé sur les diplômes d’ingénieurs. Un doctorat ouvre beaucoup plus de portes en biotech à San Diego qu’en France, surtout étant donné l’activité florissante de la région. Les salaires sont aussi beaucoup plus élevés, et donc tentants, malgré le coût élevé de la vie en Californie. Ils commencent à près de 90 000 € par an après un post-doc…
- Et vous, quels liens gardez-vous avec la France ?
Nous sommes une famille très multiculturelle mais nous aimons nos racines savoyardes. Mes enfants sont bilingues et nous passons souvent nos vacances d’été en France. La biotech française souffre d’un manque de capitaux-risques, mais aussi d’un manque de chercheurs-entrepreneurs expérimentés. C’est un cercle vicieux. Je suis membre du conseil de la chambre de commerce franco-américaine et de la French Tech de San Diego. A travers ces excellentes organisations, qui effectuent un travail remarquable, et mes contacts avec les SATT (Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies, NDLR), j’essaye de conseiller, pro bono, des jeunes pousses françaises intéressées par les USA.
- Une antenne de La French Tech s’est créée à San Diego cette année, en 2023. Comme vous venez de le mentionner, vous en êtes membre du conseil d’administration mais également le représentant de la filière sciences de la vie et de la santé. Quels conseils donneriez-vous à une biotech française voulant se développer ou dresser des partenariats avec l’écosystème de San Diego ?
La communauté de La French Tech San Diego commence à représenter un atout unique pour les entrepreneurs et scientifiques Français ! Il est facile d’être impressionné par les sources de financement auxquelles les biotechs américaines ont accès, mais les sommes en jeu peuvent aussi créer l’impression erronée que « l’argent coule à flots ». Ce n’est pas le cas, l’argent peut être très cher pour les jeunes pousses, et difficile à trouver sans réseau ou réputation, surtout depuis fin 2021. De bons conseils administratifs et introductions vont souvent faire la différence entre des voyages aux USA sans conséquences, et l’obtention de collaborations ou financements locaux. La crédibilité d’un programme d’immersion comme NETVA (programme d’accompagnement des startups mis en place par le Service pour la Science et la Technologie de l’Ambassade de France aux Etats-Unis, NDLR) ouvre beaucoup de portes et permet aux entrepreneurs français de présenter leurs projets à des acteurs locaux qui, très sollicités, n’auraient sans doute pas fait attention à eux autrement.
- Pourquoi est-il important pour une biotech de se confronter à un écosystème américain et/ou d’avoir des liens avec les Etats-Unis ?
L’écosystème américain est beaucoup trop grand pour être ignoré. Depuis le budget du NIH (plus de $47B), jusqu’à la présence de pratiquement toutes les compagnies pharmaceutiques dans le pays, en passant par la taille des débouchés commerciaux et fonds d’investissement, les USA représentent un écosystème incontournable en biotech. Même sans implantation ou partenariat local, l’écosystème biotech américain apprend beaucoup aux gens qui s’y confrontent. Il est rapide, entrepreneurial et orienté sur les résultats de façon brutale, mais il éduque aussi et offre une expérience pragmatique de la biotechnologie bénéfique pour les jeunes scientifiques.
Rédactrice :
Clara Devouassoux, Chargée de mission scientifique, Los Angeles, [email protected]