Initiatives en Intelligence Artificielle pour le climat et la biodiversité

Cet article examine le rôle émergent de l'Intelligence Artificielle (IA) dans la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. Malgré des préoccupations sur son empreinte carbone, l'IA est aussi citée comme outil permettant de réduire les émissions de carbone, gérer les ressources naturelles et prévoir les phénomènes météorologiques extrêmes. Les initiatives récentes comme le Bezos Earth Fund et le développement de startups greentech illustrent un intérêt grandissant pour ce sujet. Des projets spécifiques en Alaska, Oregon et Californie démontrent l'utilisation de l'IA pour surveiller le pergélisol, prévenir les incendies de forêt et protéger la biodiversité marine, soulignant son rôle prometteur dans une gestion proactive de l'environnement malgré les défis persistants.
pexels-john-de-leon-142955220-16398140

Photo de couverture : Pexels, Sara Loeffler, Anchorage, Alaska

 

Comme cité dans nos précédents articles, les récents développements en intelligence artificielle (IA) et IA générative ont soulevé des préoccupations quant à leur impact environnemental, notamment en raison de la consommation énergétique élevée des centres de données. Toutefois, l’IA émerge également comme un outil dans la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de la biodiversité, offrant des solutions pour réduire les émissions de carbone, optimiser la gestion des ressources naturelles et anticiper les phénomènes météorologiques extrêmes.

Dans cette perspective, l’IA est mise en œuvre à travers diverses initiatives aux Etats-Unis. Ces initiatives visent non seulement à détecter mais aussi à atténuer les impacts du changement climatique dans des régions déjà fortement affectées. Selon l’Organisation mondiale de la santé, près de quatre milliards de personnes vivent déjà dans des zones très vulnérables au changement climatique, soulignant l’urgence et la nécessité d’innovations technologiques telles que l’IA pour renforcer la résilience face à ces défis.

 

  1. Les dernières initiatives des géants de la tech dans l’IA pour la préservation de la planète

 

En avril dernier, le Bezos Earth Fund a annoncé le lancement d’un grand défi doté de 10 milliards de dollars, visant à trouver des solutions basées sur l’intelligence artificielle pour lutter contre le changement climatique et préserver l’environnement naturel. Ce fonds de 10 milliards de dollars, créé par le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, vise à mobiliser l’IA pour répondre aux problèmes environnementaux pressants. Le défi AI for Climate and Nature s’étalera sur trois ans et attribuera des subventions à des chercheurs universitaires, des organisations non gouvernementales, des entreprises privées et des organisations mondiales. Les domaines d’intérêt initial incluent les protéines durables, la conservation de la biodiversité et l’optimisation du réseau électrique. Une catégorie « wild card » permettra également de financer des projets en dehors de ces domaines. Les premiers lauréats seront annoncés lors de la Climate Week à New York en septembre 2024.

En juin dernier, Google a développé un nouvel outil d’IA, SurfPerch, en collaboration avec Google Research et DeepMind, pour aider les biologistes marins à mieux comprendre les écosystèmes des récifs coralliens et leur santé, ce qui peut soutenir les efforts de conservation. Le projet a débuté par une invitation du public à écouter des sons de récifs via le site web « Calling in our Corals » de Google. Les visiteurs ont écouté plus de 400 heures d’enregistrements audio de récifs du monde entier et ont participé à la création d’un ensemble de données bioacoustiques axé sur la santé des récifs. En utilisant cette méthode de crowdsourcing, Google a créé une bibliothèque de nouveaux sons de poissons qui ont été utilisés pour affiner l’outil IA SurfPerch, capable maintenant de détecter rapidement de nouveaux sons de récifs. Ce développement permet d’analyser de nouveaux ensembles de données avec bien plus d’efficacité qu’auparavant, ouvrant de nouvelles opportunités pour comprendre les communautés de récifs et leur conservation.

 

  1. Initiatives des startups Greentech

 

Les startups dans le secteur Greentech exploitent de manière innovante l’IA pour répondre aux défis environnementaux.
À Seattle, Pendulum se distingue en utilisant l’intelligence artificielle générative pour décarboner les chaînes d’approvisionnement et résoudre des problèmes complexes dans des secteurs variés comme le commerce, la santé mondiale et la sécurité nationale. Leur plateforme, basée sur AWS, prédit la demande, optimise l’approvisionnement et géolocalise les expéditions, permettant ainsi aux entreprises de réduire le gaspillage, les pertes de revenus et les émissions de gaz à effet de serre. Pendulum accélère également la valeur pour ses clients en extrayant rapidement des informations pertinentes à partir de documents complexes grâce à l’IA générative.

À San Francisco, Station A facilite l’achat et la vente d’énergie propre en utilisant une technologie d’IA qui collecte et synthétise des données géospatiales, environnementales et financières. Cette plateforme permet une analyse détaillée des portefeuilles énergétiques à partir de simples listes d’adresses, simplifiant ainsi la mise en relation des acheteurs et des vendeurs d’énergie propre. Station A assiste également ses utilisateurs dans l’interprétation et la comparaison des offres, offrant un accès à des conseillers en énergie propre au besoin.

Basée à Reno, dans le Nevada, nZero propose une plateforme de gestion et de comptabilité du carbone en temps réel, permettant aux organisations de suivre, gérer et réduire leurs émissions de carbone. Leur technologie utilise l’IA et l’apprentissage automatique pour collecter des données de première main et générer des analyses prédictives, ayant déjà accumulé plus d’un milliard de points de données depuis sa création.

En Californie, Seeing the Wood for the Trees, avec le soutien de NVIDIA, utilise l’IA pour modéliser des milliards d’arbres et d’autres végétations inflammables telles que les landes et les prairies. Cela aide les gestionnaires de terres, les comtés et les districts de lutte contre les incendies en Amérique du Nord à renforcer leur résilience face aux incendies de forêt et au changement climatique.

 

  1. Des initiatives publiques pour pousser la recherche en IA sur le réchauffement climatique

 

Des fonds importants ont été alloués pour stimuler la recherche en intelligence artificielle dans le domaine du climat. En mai dernier, la National Science Foundation (NSF) et le Département de l’Énergie (DOE) des États-Unis ont annoncé que 35 projets bénéficieraient de temps de calcul grâce au programme pilote National Artificial Intelligence Research Resource (NAIRR). Ce programme marque une avancée majeure dans la promotion de la recherche responsable en IA à travers le pays, conformément à l’annonce conjointe de la NSF et du DOE. Initié en réponse à l’Ordre exécutif du président Joe Biden sur le développement sûr, sécurisé et éthique de l’IA, le programme pilote NAIRR offrira aux chercheurs et aux étudiants en IA un accès à des ressources et à des données clés pour leurs recherches.

Les universités ont également de réelles initiatives en la matière, et ce depuis quelques années. A été créé en 2022, l’initiative « The Berkeley AI Research Climate Initiative » de UC Berkeley réunit des chercheurs en IA et en climatologie pour résoudre des défis scientifiques complexes. Parmi ses projets figurent la restauration des récifs coralliens avec des modèles d’apprentissage automatique sous-marins, la prédiction des flux d’eau en montagne à partir de données multimodales, et la détection des proliférations d’algues nocives pour la gestion des ressources en eau. Un autre projet vise à automatiser le décompte des espèces animales dans les parcs nationaux du Nigeria à l’aide de techniques de vision par ordinateur.

 

  1. Zoom sur des initiatives concrètes en Alaska, en Oregon et en Californie.

 

La surveillance du Pergélisol en Alaska. En Alaska, une nouvelle technologie assistée par l’intelligence artificielle est mise en place pour surveiller le pergélisol, une couche de sol gelé en permanence. Le Woodwell Climate Research Center, grâce à une subvention de 5 millions de dollars de Google octroyée récemment, utilise l’IA pour suivre le dégel du pergélisol. Ce projet, dirigé par Anna Liljedahl, scientifique climatique basée en Alaska, combine des données satellitaires et l’intelligence artificielle pour détecter les changements survenant en temps réel. Cette initiative devrait contribuer significativement à la compréhension et à la gestion des transformations rapides dans l’Arctique. Le dégel du pergélisol est particulièrement critique car il libère des gaz à effet de serre piégés, aggravant le réchauffement climatique.

Aussi, parmi les lauréats du programme pilote National Artificial Intelligence Research Resource (NAIRR), Chandi Witharana, professeur adjoint au Département des Ressources Naturelles et de l’Environnement de l’University of Connecticut, recevra un soutien pour son projet  intitulé « Utilisation de l’IA et d’images satellite à résolution sub-métrique pour cartographier les perturbations dues au  dégel du pergélisol et pour surveiller les évolutions des ‘infrastructures humaines à l’échelle pan-arctique ». Avec le réchauffement accéléré de l’Arctique, le pergélisol, subit une dégradation rapide, menaçant les bâtiments et les infrastructures critiques. Avec le soutien du programme NAIRR, ce projet pourra améliorer son pipeline d’images IA en intégrant de nouvelles fonctionnalités et en étendant ses capacités pour cartographier de manière plus exhaustive ces perturbations. D’autres projets financés se concentrent également sur des applications spécifiques, comme l’utilisation de l’IA pour cartographier les perturbations du pergélisol via des images satellite, le développement de modèles fondamentaux pour les sciences aquatiques, la sécurisation des données d’imagerie médicale et l’utilisation de l’IA pour l’identification des pestes agricoles.

 

La prévention des feux de forêts. En Alaska, où les incendies de forêt sont fréquents pendant la saison estivale, les chercheurs comme Josh Hostler de l’Université d’Alaska Fairbanks utilisent des techniques avancées d’apprentissage automatique pour analyser les schémas de foudre et modéliser le comportement des incendies. Cette approche permet une prévision météorologique précise, à la fois quotidienne et saisonnière, malgré la complexité des prévisions à long terme. En intégrant ces données météorologiques avec des modèles d’incendie, les autorités peuvent anticiper les conditions propices aux incendies et prendre des mesures préventives adéquates pour limiter leur propagation.

En Oregon, le laboratoire des risques de l’Université de l’Oregon, dirigé par Doug Toomey, a développé un réseau de caméras de détection des incendies, soutenu par des algorithmes d’intelligence artificielle. Ce système, le plus vaste au monde pour la surveillance des incendies en milieu sauvage, comprend plus de 1 200 caméras principalement réparties en Californie, avec une expansion en Oregon et dans d’autres États. Les caméras tournent toutes les deux minutes, analysant les images à la recherche de signes de fumée ou d’incendie. Lorsqu’une anomalie est détectée, le centre opérationnel est immédiatement alerté, facilitant ainsi une réponse rapide des équipes de gestion des incendies. Cette technologie permet non seulement de détecter les incendies précocement, mais également d’assurer une surveillance continue pour évaluer la propagation du feu et ajuster les stratégies de lutte en temps réel.

En Californie, l’initiative de prévention des incendies utilise également l’intelligence artificielle pour surveiller plus de 1 000 caméras à travers l’État. En partenariat avec le programme Alert California de l’Université de Californie à San Diego, ces caméras sont positionnées en altitude pour une visibilité optimale et analysées par l’IA pour détecter la fumée et d’autres signes précurseurs d’incendie. Lorsqu’une anomalie est repérée, les autorités sont alertées, permettant une intervention rapide avant même que les appels d’urgence ne soient reçus. Cette approche proactive vise à limiter les incendies à moins de 10 acres, renforçant ainsi la protection des infrastructures critiques et réduisant les risques pour les communautés.

 

Utilisation de l’IA pour l’analyse de la biodiversité en Alaska, une nouvelle approche. Dans l’écosystème marin de l’Alaska, les loutres de mer jouent un rôle vital. Après avoir été fortement réduite par le commerce de la fourrure au XXe siècle, leur population montre des signes de rétablissement, bien que des incertitudes persistent sur leur évolution exacte. Traditionnellement, les biologistes utilisaient des relevés aériens coûteux et risqués pour surveiller ces animaux. Pour surmonter ces défis, une nouvelle méthode exploitant l’intelligence artificielle (IA) a été mise en œuvre depuis 2020.

Dirigée par Christina Bonsell du Bureau de la gestion de l’énergie océanique (BOEM), cette initiative utilise des avions équipés de caméras pour capturer des images des loutres de mer dans le bas Cook Inlet. Le logiciel d’IA « See Otter », spécialement formé pour identifier et suivre les loutres de mer à partir de ces images aériennes, représente une avancée significative. En analysant automatiquement les données collectées, « See Otter » optimise le dénombrement et la localisation des populations de loutres de mer de manière précise et efficiente.

Parallèlement, une autre étude récente menée par des chercheurs de l’Université d’Alaska Fairbanks a utilisé des méthodes similaires d’IA et de science citoyenne pour identifier des zones cruciales pour la conservation des écureuils à l’échelle mondiale. Publiée dans Scientific Reports, cette recherche montre comment l’IA peut être employée pour valider les emplacements des populations de plus de 300 espèces d’écureuils, grandes et petites, à travers le monde. En combinant ces approches innovantes, la recherche actuelle ouvre de nouvelles perspectives pour la gestion et la préservation efficace de la biodiversité, à la fois locale et globale, en utilisant des outils technologiques avancés pour surveiller et protéger des espèces clés dans des écosystèmes variés.

 

En conclusion, l’Intelligence Artificielle (IA) émerge comme un allié prometteur dans la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité, malgré les préoccupations initiales concernant son empreinte environnementale. Les initiatives récentes en IA pour le climat et la biodiversité reflètent un engagement croissant à utiliser l’IA pour anticiper et atténuer les impacts environnementaux, qu’il s’agisse de surveiller le dégel du pergélisol en Alaska, de prévenir les incendies de forêt en Oregon, ou de protéger des espèces marines en Alaska. En intégrant des approches innovantes basées sur l’IA, ces initiatives ouvrent la voie à une gestion plus proactive et efficace de notre environnement.

À noter que cet article propose une liste non exhaustive d’initiatives récentes en la matière, et que les géants de la tech n’ont pour l’instant pas encore atteint leurs objectifs de réduction de leur empreinte carbone. Pour que l’IA atteigne son plein potentiel dans la lutte contre le changement climatique  et pour la sauvegarde de la biodiversité, il est crucial de poursuivre les investissements dans la recherche collaborative sur des technologies d’IA et d’IA générative, à promouvoir des normes éthiques et à développer des solutions technologiques durables. 

 

Rédactrice :

Valentine Asseman, chargée de mission pour la Science et la Technologie, Consulat Général de France à San Francisco, [email protected] 

 

Sources :

https://impact.economist.com/perspectives/sustainability/green-intelligence-ai-could-boost-efforts-fight-climate-change?utm_medium=cpc.adword.pd&utm_source=google&ppccampaignID=17210591673&ppcadID=&utm_campaign=a.22brand_pmax&utm_content=conversion.direct-response.anonymous&gad_source=1&gclid=Cj0KCQjw4MSzBhC8ARIsAPFOuyWgDaNPJHp2aSZvCIbVAenV5txHcV4OJvfEkQ041XcCyQqZnpH7y1AaAnwyEALw_wcB&gclsrc=aw.ds

https://aws.amazon.com/fr/blogs/startups/how-climate-tech-startups-use-generative-ai-to-address-the-climate-crisis/#:~:text=Startups%20in%20 low%2d Carbon%20 transportation,turbines)%20with%20rust%20or%20cracks.

https://alaskabeacon.com/briefs/new-artificial-intelligence-assisted-technology-planned-to-track-permafrost-in-alaska-and-beyond/

https://www.woodwellclimate.org/woodwell-climate-awarded-5m-google-org-grant-for-use-of-ai-to-track-permafrost-thaw/

https://www.miragenews.com/nairr-pilot-program-backs-ai-study-on-arctic-1260937/https://alaska-native-news.com/researchers-use-ai-to-track-global-squirrel-hot-spots/74551/

https://www.kbbi.org/local-news/2024-06-12/counting-sea-otters-is-hard-research-shows-ai-may-help

https://www.newsminer.com/features/sundays/fire-algorithm-predicting-fire-weather-with-artificial-intelligence/article_d6719ab0-29b6-11ef-9959-f37837e4f04e.html

https://www.opb.org/article/2024/05/23/oregon-ai-wildfire-detection/

Partager

Derniers articles dans la thématique
,