Comment se dessine la politique de recherche agro-environnementale américaine ?

Malgré l'implication du gouvernement américain sous Obama dans l'élaboration de l'Accord de Paris en 2015, les Etats-Unis de Trump sont pour l'heure le seul pays à en être sorti, à la veille de l'élection présidentielle. Le nouveau président Joe Biden, souhaite réintégrer l'Accord dès son accession à la tête du gouvernement. Il entend par ailleurs mettre en place un solide programme environnemental et agricole, dans une Amérique divisée entre mondes urbain et rural. Alors que le cinquième anniversaire de la signature de l'Accord de Paris est célébré le 12 décembre, quelles sont les perspectives envisageables concernant la politique et la recherche pour l'agriculture durable aux Etats-Unis ?

Légende photo : Biden pendant un discours sur les feux de forêt et le changement climatique, le 14 sept. 2020 à Wilmington dans le Delaware. Crédits photo : CivilEats

 

Mercredi 4 novembre, lendemain de l’élection présidentielle américaine, les Etats-Unis se sont officiellement retirés de l’Accord de Paris sur le climat issu de la COP21. Malgré l’implication considérable du gouvernement américain dans l’élaboration de l’Accord de Paris en 2015, sous l’égide du président Obama, les Etats-Unis sont le seul pays parmi les 200 signataires à en être sorti. Parallèlement, la Chine et l’Union Européenne (UE) font figures de meneurs en matière de diplomatie environnementale internationale. En témoignent notamment leurs engagements pour atteindre la neutralité carbone : les horizons sont fixés à 2060 pour la Chine et 2050 pour l’UE. Parmi les engagements européens, le European Green Deal figure en vitrine. Son volet dédié à l’agriculture durable, Farm to Fork, a été l’objet de fortes critiques par l’administration Trump dans une étude publiée par l’USDA (United States Department of Agriculture). Au-delà de la réintégration du pays à l’Accord de Paris souhaitée par le nouveau président américain, Joe Biden, le résultat de ce scrutin aura véritablement un impact sur l’atteinte des objectifs climatiques.

Deuxième émetteur de gaz à effet de serre après la Chine (responsable de 15% des émissions mondiales), les Etats-Unis de Trump se sont détournés de la diplomatie climatique et la politique  environnementale du pays en a souffert. Durant son mandat, le président Trump a par exemple annulé ou affaibli plus de 125 régulations environnementales mises en place par son prédécesseur. D’après le cabinet Rhodium Group, ces atteintes aux lois environnementales pourraient à elles seules être responsables de 1,8 milliards de tonnes de CO2 générées dans l’atmosphère d’ici 2035. Le président élu Joe Biden a de son côté fait part de son fort engagement pour le climat.

Les Etats-Unis devront soumettre une nouvelle stratégie pour arriver à la neutralité carbone d’ici 2050, qui pourra s’appuyer sur le programme environnemental du candidat élu, détaillé sur sa plateforme. Joe Biden pourrait agir sur différents plans par ordres exécutifs dès sa prise de fonctions, même dans un contexte législatif défavorable. Parmi ses priorités figurent par exemple l’ambition de produire 100 % d’électricité  décarbonée en 2035, la réhabilitation de la loi obligeant les agences fédérales à réduire les émissions de gaz à effet de serres de 40% d’ici 2030, l’arrêt des forages pétroliers et gaziers sur les côtes américaines, l’annulation de l’ouverture de la forêt nationale Tongass (Alaska) à l’exploitation de bois ou celle du Refuge National de la faune Arctique au forage, la restauration des délais et des périmètres d’évaluation des études d’impact environnemental réalisées par les agences fédérales, ainsi que la réintégration des HFC (hydrofluorocarbones) à la liste des substances autorisées par l’EPA. Joe Biden s’engage aussi à protéger la biodiversité, en passant sous statut de conservation 30% des terres et eaux américaines d’ici 2030.

La gestion des ressources naturelles et l’agriculture, qui contribue à 10% des émissions carbone étatsuniennes, sont des thèmes centraux pour l’atteinte des objectifs climatiques. Alors que l’USDA avait annoncé en février 2020 vouloir réduire les émissions du secteur de 50% d’ici 2050, Biden aborde la thématique dans différentes parties de son programme environnemental, ainsi que son programme sur l’Amérique rurale.

 

Alors que le cinquième anniversaire de la signature de l’Accord de Paris est célébré le 12 décembre, quelles sont les perspectives envisageables concernant la politique et la recherche pour l’agriculture durable aux Etats-Unis ?

Un rapport non partisan du Service de Recherche du Congrès datant de juillet 2020 souligne le ralentissement de l’effort de recherche au sein de l’USDA, suite à plusieurs atteintes à son fonctionnement par l’administration Trump. Parmi elles, la relocation des instituts NIFA (National Institute of Food and Agriculture) and ERS (Economic Research Service) de Washington, DC, à Kansas City fin 2019, à laquelle se sont opposés de nombreux agents, causant un manque critique de personnel au sein de plusieurs agences. Le Service évoque aussi des inquiétudes suite à la non publication des résultats en recherche climatique dans le Climate Resilience Science Plan de 2017.

Le nouveau président élu se déclare prêt à investir largement dans la recherche environnementale, spécialement climatique, objectif illustré par la création d’une nouvelle agence nationale, ARPA-C, Advanced Research Projects Agency, centrée sur le climat. Parmi les priorités de cette nouvelle agence figure la décarbonation du secteur alimentaire et agricole, et l’utilisation des méthodes de capture de carbone dans les sols, et la structuration d’un marché carbone, mesures également mises en avant par le rapport du Comité Spécial sur la Crise Climatique des Démocrates au Sénat d’août 2020 et soutenues par le principal syndicat agricole du pays, la NFU (National Farmers Union). A cet effet, il entend valoriser la digestion anaérobie, notamment de méthane, pour générer de nouvelles sources de revenus pour les agriculteurs et ranchers.  La mise en place de programmes de conservation centrés sur la couverture et la restauration des sols figure aussi parmi les axes d’action prioritaires. Son programme agricole Build Back Better in Rural America, met en avant des valeurs de justice sociale et raciale, la relance de l’économie, et la conservation des espaces naturels dominiaux. D’après ce programme, Biden entend développer la manufacture bas carbone dans le secteur agricole. La mise en relation des parties prenantes (instituts de recherche, universités, incubateurs, industries, syndicats, etc.) sera centrale, et le président s’engage à financer le déploiement des infrastructures nécessaires.

La multiplication des recommandations pour la politique de recherche en agro-environnement, marqueur de la mobilisation de la société civile

Au-delà du programme officiel de Biden, de nombreuses recommendations ont été émises par les organisations de la société civile, qui se mobilisent pour une agriculture durable, témoignant de l’élan fédérateur existant autour de la thématique climatique à l’orée d’un nouveau mandat, ainsi que de l’intégration croissante du secteur agricole dans la recherche de solutions durables. De façon exhaustive,  les chercheurs du Sabin Center for Climate Change Law (Columbia Law School) ont compilé dans un document de 65 pages les différentes actions possibles pour Biden en vue de révoquer les ordonnances exécutives ayant composé la politique environnementale  de Trump.

Au niveau de l’agro-environnement plus précisément, la prise de positions de divers groupes, plus ou moins récemment formés, s’est accélérée dans les derniers mois. Encore une fois, les priorités d’action concernent la création d’un marché du carbone soutenu par l’Etat et la mise en oeuvre à grande échelle de pratiques de séquestration carbone dans les sols agricoles, le développement de mécanismes incitatifs pour la mise en oeuvre de pratiques agricoles favorables à l’environnement, l’investissement dans la recherche fédérale en agriculture durable et la diffusion de solutions innovantes à travers le territoire, notamment via les Climate Hubs, ainsi que l’intégration des communautés rurales dans la politique agricole nationale.

Dès juin 2020, le Comité Restreint sur la Crise Climatique de la Chambre des Représentants avait publié sa première feuille de route pour travailler à l’adaptation et à la réduction du changement climatique. Il y dédie un chapitre d’une trentaine de pages à l’agriculture. Par ailleurs, le Centre Politique Bipartisan a annoncé le 17 novembre la création d’un nouveau groupe de travail, la Farm and Forest Carbon Solutions Task Force. Ce groupe envisage une concertation avec les parties prenantes en agriculture, foresterie et conservation pour produire un agenda politique alliant développement rural et protection du climat. Il souhaite à l’avenir constituer une base de connaissance de référence pour informer le débat sur les solutions politiques.

Parallèlement, la Food and Agriculture Climate Alliance, FACA, a aussi annoncé sa formation le 17 novembre, avec la American Farm Bureau Federation, la National Farmers Union, le National Council of Farmer Cooperatives et le Environmental Defense Fund à sa tête. Elle rassemble un consortium de PDGs de divers institutuons, acteurs, agriculteurs, ranchers, propriétaires terriens, secteur agroalimentaire, gouvernements fédérés, et organisations environnementales comme l’ONG The Nature Conservancy, qui souhaitent aligner leurs positionnements en matière de politique agro-environnementale. Le groupe a développé plus de 40 recommandations destinées au Congrès pour définir et promouvoir des priorités de politiques climatiques communes, compilées dans un mémo. Parmi ses priorités se trouve la recherche de solutions basées sur la science, particulièrement dans les domaines ciblés suivants : santé des sols, élevage et produits laitiers, forêts et bois, énergie et gaspillage alimentaire. La FACA s’aligne à certaines recommandations des Académies Nationales en Sciences et Ingénierie, comme celle d’investir plus d’un million de dollars dans un programme mené par l’USDA et les universités financées par l’octroi de terres (« land-grant universities« ) visant à déterminer les meilleures pratiques de séquestration carbone dans les sols agricoles et le secteur forestier.

Un groupe d’anciens membres du gouvernement s’est fait remarquer par la publication du Climate 21 Project, document stratégique de 300 pages visant à systématiser l’intégration des considérations environnementales dans les politiques fédérales. Le chapitre agricole est co-écrit par Robert Bonnie et Meryl Harrell, anciens membres de l’administration Obama et actuellement en poste au sein de l’équipe de transition de Biden à l’USDA. Ils rappellent le rôle central de l’USDA dans la science environnementale et dans la mise en place de mesures d’adaptation au changement climatique, ainsi que le pouvoir de levier dont elle bénéficie grâce à ses ressources financières et son expertise, largement sous exploitées sous l’ère Trump. Afin de retrouver son rôle d’agence scientifique, des investissements en capacités de recherche sont nécessaires, particulièrement aux niveaux de la NIFA et de l’ERS, ayant souffert de la délocalisation, et des Climate Hubs, relais régionaux éducatifs et scientifiques de l’USDA, indispensables instruments pour la traduction des programmes à l’échelle locale. Des investissements sont aussi nécessaires pour soutenir le travail du Forest Service et du National Resources Conservation Service. 

Le plan recommande à l’agence d’institutionnaliser une banque de carbone en s’appuyant sur la Commodity Credit Corporation, afin d’inciter financièrement les entreprises à développer des pratiques de séquestration carbone dans les sols et les forêts. Le financement de ces pratiques durables pourrait trouver source dans les programmes de conservation existants, de façon à ce que les politiques d’assurance sur les récoltes et les taux avantagent les acteurs impliqués dans l’effort national de réduction des émissions. Le développement de partenariats avec les agriculteurs et les ranchers via des coopératives énergétiques notamment, est pointé comme un moyen d’action important. Par ailleurs, l’investissement dans la modernisation et l’innovation parmi les communautés agricoles constitue un axe d’action important.

L’accent semble mis sur l’agriculture familiale traditionnelle et sa place dans la révolution énergétique, particulièrement dans un contexte de pertes financières conséquentes et de perturbations de la chaine de production dues à la crise sanitaire. Sur ce point, le plan de reconstruction Build Back Better proposé par Biden est décliné en actions concrètes dans la feuille de route « Build Back Better: Our Call to Action and Roadmap for Rural America » publiée mi novembre par un consortium d’ONG, faisant la part belle à l’intégration des communautés rurales dans l’innovation et la politique agricole nationale. Alors que l’élection de 2020 a permis de mettre en lumière l’importante fracture existant entre les mondes urbain et rural, les priorités qui y sont déclinées sont les suivantes : intégrer les communautés rurales dans la prise de décisions, lutter contre le racisme et créer des opportunités pour tous, démocratiser le système agroalimentaire, combattre de changement climatique grâce à l’innovation agricole, moderniser les infrastructures et investir dans le secteur agricole. L’intégration des communautés rurales et la modernisation passent par l’extension de la couverture de connexion haut débit à tous les territoires, essentielle à la mise en place de solutions technologiques de précision en faveur du climat. S’appuyant sur les impacts de la crise sanitaire de la COVID-19 sur les plus démunis, le plan met par ailleurs en avant la résilience des communautés locales, notamment par la diversification des cultures, et le développement de programmes en nutrition permettant la soutenabilité des systèmes alimentaires. Au niveau de la recherche, le plan suggère de réinvestir dans les « land-grant universities«  afin de développer la recherche en qualité des sols, assistance technique et partage de coûts. La transition vers des systèmes agricoles régénératifs indépendants des groupes industriels est aussi mise en avant, à travers la réduction des subventions agricoles favorisant la monoculture. Finalement, le plan recommande Marcia Fudge au poste de Secrétaire de l’USDA.

 

La nomination du future Secrétaire de l’USDA : un fort indice sur l’orientation de la politique agricole et environnementale

Le débat est vif autour de la nomination d’un ou d’une Secrétaire à l’Agriculture, entre ceux qui souhaiteraient placer une personnalité progressiste, et ceux qui optent pour une politique plus consensuelle, alors que le parti démocrate n’est pas assuré d’être majoritaire au Congrès. En effet, si les Républicains gagnent le Sénat, le champ d’actions possibles sans le support du Congrès se réduit, et la stratégie politique environnementale de Biden sera alors essentiellement basée sur des ordres exécutifs (réglementations et autres décrets présidentiels).

Heidi Heitkamp, sénatrice démocrate modérée du Dakota du Nord, est présumée au poste de Secrétaire à l’Agriculture; elle succèderait ainsi à Sonny Perdue à la tête de l’USDA – elle avait déjà été envisagée pour ce poste par Trump. Elle co-dirige la Farm and Forest Carbon Solutions Task Force au Congrès. Une dizaine de groupes agricoles progressistes à gauche de l’échiquier politique, comme Friends of the Earth se mobilisent à travers le pays pour s’opposer à sa nomination, la considérant comme trop centriste et proche des milieux de l’industrie agricole et des énergies fossiles.

Certains de ces groupes souhaiteraient plutôt voir Marcia Fudge, députée démocrate de l’Ohio, qui s’est clairement positionnée pour le poste et a récemment décliné l’opportunité de présider le Comité Agricole à la Chambre des Représentants. Elle est la présidente de la sous commission de l’agriculture dédiée à la nutrition et au contrôle de l’USDA à la Chambre des Représentants, et est membre de la sous commission de l’agriculture sur la conservation des sols, l’énergie et la forêt.

Parmi les autre candidates potentielles se trouve Chellie Pingree, députée du Maine et sponsor, entre autres, de l’Agriculture Resilience Act, introduit devant le 116ème Congrès cette année et centré sur la mise en oeuvre de pratiques agricoles durables comme la séquestration carbone dans les sols. A cette occasion, Chellie Pingree avait fait connaitre son ambition de réduire de 50% les émissions carbone du pays à l’horizon 2030 et d’atteindre le net zéro d’ici 2040.

Rédactrice : Juliette Paemelaere, Chargée de mission Coopération Scientifique INRAE, [email protected]

 

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