Appréhender le mariage champignon-arbre avec Francis Martin

Ce témoignage a été reccueilli par Juliette Paemelaere auprès de Francis Martin, directeur de recherche INRAE au sein de l’Unité Mixte de Recherche IAM (Interactions Arbres/Microorganismes), spécialiste en microbiologie forestière et en génomique. Il travaille notamment avec l’Université de Californie (UC) à Berkeley, le Joint Genome Institute (JGI) et le Laboratoire national Oak Ridge (Tennessee) sur l’étude des relations entre les champignons et les arbres. Son collaborateur rapproché au JGI est Igor V. Grigoriev, Directeur du programme Génomique des Champignons & Algues au JGI du Laboratoire national Lawrence Berkeley (Californie), intégré depuis quelques années à UC Berkeley. Le laboratoire héberge le centre de séquençage du Département de l’Énergie du gouvernement américain (Department of Energy). Ce partenariat scientifique dynamique et de longue date a fait l’objet de nombreuses publications de haut niveau depuis 2006 et est aujourd’hui mis à l’honneur.

Qui est Francis Martin ?

 

Rapide présentation

 

Originaire de la campagne Lorraine et passionné de forêts depuis l’enfance, Francis Martin a fréquenté l’Université de Nancy, où, suite à une série de présentations données par le professeur Pierre Gadal, il choisit le chemin de la recherche scientifique. Son doctorat tout juste en poche, il est recruté à l’Inra en 1981, dans le laboratoire de François Le Tacon, avant de réaliser plusieurs séjours postdoctoraux à l’étranger, d’abord à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), puis au Département de Recherche en Foresterie du CSIRO (Perth, Australie) et en Pennsylvanie avec l’USDA (United States Department of Agriculture). Il devient en 1987 le plus jeune directeur de recherche de l’Inra et en 2010 le plus jeune directeur de recherche de classe exceptionnelle. Il a, au cours de son parcours exceptionnel, encadré plus de trente-cinq doctorants et quinze post-doctorants.

 

Ses recherches actuelles

 

Francis Martin effectue actuellement ses recherches dans le cadre de l’Unité Mixte IAM (Interactions Arbres/Microorganismes) entre l’INRAE et l’Université de Lorraine à Nancy, dont les recherches visent à améliorer nos connaissances sur la microbiologie forestière et en particulier, sur le rôle des microbes dans le fonctionnement et la durabilité des écosystèmes forestiers. Son équipe, Écogénomique des interactions, se concentre sur l’étude des associations qui s’établissent entre les arbres, les champignons et les bactéries rhizosphériques. Francis Martin dirige par ailleurs le laboratoire d’excellence ARBRE, porté par l’Université de Lorraine à Nancy. Ce consortium de 260 scientifiques développe des recherches avancées sur la biologie des arbres et l’écologie des forêts sous contraintes climatiques. ARBRE associe INRAE, AgroParisTech, l’Office National des Forêts (ONF), le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), le Centre Régional d’Innovation et de Transfert de Technologies (CRITT) du Bois, l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) et l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail).

 

 

Réunion annuelle du projet Plant-Microbe Interfaces du Oak Ridge National Lab à l’INRAE de Nancy

De gauche à droite : Aurélie Deveau (INRAE), Dale Pelletier (ORNL), Mitch Doctycz (ORNL), Jessy Labbé (ORNL), Rytas Vilgalys (Duke University), Timothy Tschaplinski (ORNL), Annegret Kohler (INRAE), Jerry Tuskan (ORNL), Francis Martin (INRAE)

 

Des modèles particuliers ont-ils inspiré votre parcours ? Comment avez-vous choisi vos sujets de recherche ?

 

Comme la plupart des jeunes chercheurs, j’ai grandement bénéficié des conseils de mentors qui ont déterminé mon parcours. Ce sont Pierre Gadal, professeur de physiologie végétale à l’Université Henri Poincaré de Nancy, et François Le Tacon, microbiologiste à l’INRA de Nancy, qui ensemble m’ont recruté au début des années 80 pour étudier les symbioses mycorhiziennes mises en place entre certains champignons du sol et les racines des arbres. Ces chercheurs exceptionnels m’ont transmis leur passion pour la recherche fondamentale et inculqué la rigueur et l’opiniâtreté indispensables dans ce métier difficile.

 

Un parcours orienté vers l’international et une forte collaboration avec les Etats-Unis

 

Sa collaboration avec le Joint Genome Institute (JGI) de l’Université de Californie (UC) Berkeley constitue son point d’ancrage le plus important aux Etats-Unis. Depuis plus de dix ans, elle se focalise sur l’étude comparative des génomes de champignons pathogènes, symbiotiques et saprotrophes. Francis Martin est responsable du projet international Mycorrhizal Genomics Initiative, ayant vocation à identifier les mécanismes à l’origine des symbioses mutualistes arbres/champignons et à étudier l’évolution des autres guildes de champignons impliqués dans le fonctionnement des écosystèmes forestiers. Il anime, avec Igor Grigoriev et d’autres collègues américains, le projet international « 1000 Génomes Fongiques » dont l’objectif est de déchiffrer les mécanismes régissant l’évolution des champignons d’intérêt environnemental. Une autre collaboration en biologie moléculaire des interactions arbres/micro-organismes existe depuis longtemps entre l’équipe de Francis Martin et le Laboratoire national d’Oak Ridge (ORLN).

 

Existe-t-il des différences (d’organisation, de relations, de méthodologie) au niveau des milieux scientifiques français et américains, notamment entre INRAE et UC Berkeley ? L’approche réseau est-elle structurée différemment ?

 

Hormis la possibilité de recruter des chercheurs titulaires dans la plupart des organismes de recherche publics français, les équipes de recherche fonctionnent globalement sur le même schéma avec des scientifiques confirmés (enseignants-chercheurs ou chercheurs), des post-doctorants et des doctorants. A l’INRAE, nous avons encore la chance de pouvoir bénéficier du soutien de techniciens titulaires qui assurent bien souvent la pérennité des protocoles expérimentaux et la maintenance des équipements. Malheureusement, la bureaucratie tatillonne qui entrave la recherche française existe également dans les institutions américaines.

Aux États-Unis, comme en France, la recherche est conduite au sein de réseaux internationaux. Toutes les équipes dynamiques que je connais sont impliquées dans des réseaux de recherche européens avec des interactions multiples avec les laboratoires américains et maintenant, chinois. Une différence majeure est l’extrême compétition qui existe dans la recherche américaine. Publier dans les meilleures revues scientifiques y reste encore la norme pour décrocher un poste de professeur associé.

 

Quelle est la valeur ajoutée de vos collaborations internationales pour la recherche, et le point fort de la recherche aux Etats-Unis ?

 

Notre collaboration étroite avec les laboratoires du DOE nous a permis d’accéder aux plateformes de séquençage et d’annotation des génomes au JGI qui n’ont pas d’équivalent en Europe, mais également à des technologies de pointe pour étudier la biologie des plantes à l’ORNL. Ces collaborations équilibrées ont permis à plusieurs de nos étudiants de se former dans un environnement multiculturel et international très dynamique, mais également très compétitif. Certains de nos anciens doctorants ont réussi à monter leur propre équipe aux États-Unis et ils y font une belle carrière. La « fuite des cerveaux » vers les États-Unis reste d’actualité car les recrutements de chercheurs ont été très limités en France ces dernières années.

 

Dans quelles mesures la crise sanitaire actuelle a-t-elle impacté les recherches, et particulièrement vos collaborations internationales ?

 

Chaque année, nous avions l’habitude de participer au colloque annuel du Joint Genome Institute à San Francisco ; une belle occasion d’interagir avec l’équipe d’Igor Grigoriev, de discuter des dernières évolutions techniques dans le domaine de la génomique et de présenter nos résultats à notre communauté scientifique. De même, nous nous rendions régulièrement à l’Oak Ridge National Laboratory pour échanger sur nos travaux. Toutes ces activités sont interrompues par la crise sanitaire actuelle. Heureusement, nous pouvons tenir des visioconférences et des webinaires hebdomadaires afin de maintenir nos collaborations actives. Cependant, ces interactions à distance ne sauraient remplacer les relations amicales tressées au cours des années autour d’une bonne bière.

 

Quelles sont vos perspectives pour la suite (en termes de position, sujets de recherche, expérimentations) ?

 

Au cours des prochaines années, nos projets de recherche avec le JGI, l’ORNL et d’autres laboratoires américains vont se poursuivre. L’utilisation de la génomique comparative pour comprendre l’évolution des interactions entre les plantes et les champignons symbiotiques ou pathogènes est en plein essor. Notre collaboration étroite avec le JGI nous donne des atouts pour conserver notre leadership dans le domaine. Le challenge pour les prochaines années est d’exploiter ces ressources génomiques afin de mieux décrire et comprendre le fonctionnement du microbiome des écosystèmes forestiers. Il s’agit réellement d’un front de science très compétitif.

 

Quel serait le conseil à donner aux jeunes doctorant.es qui souhaitent se lancer dans la recherche dans les sciences de la vie ?

 

Décrypter les mécanismes complexes qui animent les êtres vivants et les écosystèmes est une aventure extraordinaire. C’est une chance de pouvoir consacrer sa vie à une meilleure connaissance du monde. Toutefois, devenir un bon chercheur exige passion, motivation, pugnacité, opiniâtreté et une inébranlable honnêteté intellectuelle. C’est un noble métier.

 

 

Rédactrice : Juliette Paemelaere, Chargée de coopération scientifique INRAE, [email protected]

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