Un mouvement en cours vers l’open science à UC Berkeley et l’université Stanford

L'open science gagne petit à petit du terrain dans les universités californiennes. Cependant, en l'absence d'un ministère fédéral de la recherche et de l'enseignement supérieur imposant une approche descendante, les chercheurs s'organisent à leur niveau. Reste à voir comment ces initiatives vont se propager au sein des universités américaines.
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Si le terme de « science ouverte » ou « open science » n’a pas de définition ou de norme unifiée, il recouvre un mouvement visant au décloisonnement du processus de recherche, en s’appuyant sur les nouvelles technologies de l’information. Cela se traduit par la mise à disposition en ligne de données et de résultats en accès ouvert -et gratuit autant que possible- ou encore à un travail collaboratif plus en amont entre chercheurs à l’aide d’outils issus du Web 2.0 (partage d’hypothèses, de protocoles, de résultats préliminaires).

En France, le plan national pour une action publique transparente et collaborative 2018-2020[1], publié le 4 avril 2018, comporte un engagement pour la « création d’un écosystème de la science ouverte » ayant pour institution de pilotage le MESRI. Ce plan prévoit une série d’actions ambitieuses énumérées et portées avec une tonalité volontariste par le ministère[2].

 La politique américaine en matière d’open science:

Aux États-Unis, des voix se sont élevées parmi les responsables politiques pour que les recherches financées par des deniers publics soient en libre accès, pour autant, l’absence d’un ministère fédéral de la recherche et de l’enseignement supérieur rend plus délicate la mise en place d’une politique homogène en matière d’open science. Ce sujet est donc traité au niveau des universités qui bénéficient d’une large autonomie dans la définition de leur politique en la matière.

Notons cependant qu’en 2008, l’administration Bush a adopté une loi stipulant que toute la recherche financée par les NIH (National Institutes of Health) doit être mise à disposition sur PubMed (une archive digitale en ligne et en libre accès d’articles académiques en sciences de la vie et dans le domaine biomédical), dans l’année suivant sa publication initiale. L’administration Obama a par la suite tenté d’élargir cette exigence à toutes les agences fédérales finançant la recherche à hauteur de 100 millions de dollars ou plus à travers le Federal Research Public Access Act, mais sans succès jusqu’à présent. Au niveau des États fédérés, la Californie est le seul a avoir passé une loi en matière d’open science: le California Taxpayer Access to Publicly Funded Research Legislation oblige les publications issues de financements publics à passer en open access dans les 12 mois qui suivent la publication initiale. Notons, par ailleurs, que les grands philanthropes comme la fondation Bill & Melinda Gates, conditionnent souvent leurs financements à des engagements en matière d’open access.

Un mouvement bottom-up dans les universités californiennes:

L’université Stanford a un mode de fonctionnement très décentralisé, et la direction est peu susceptible d’imposer des directives uniformes en matière d’open science. Le niveau d’adoption de cette approche dépend ainsi très fortement des disciplines. Toutefois, il semble exister une tendance générale allant vers des mentalités plus ouvertes à ces modalités alternatives, évolution soutenue par la base et essentiellement les jeunes chercheurs, plus sensibles à ces questions. Produit de ce phénomène, le Stanford Data Science Institute’s Center for Open and REproducible Science (DSI-CORES)[3] a ouvert le 16 septembre 2020. L’équipe du DSI-CORES rassemble des chercheurs venant d’une palette très diverse des départements de Stanford. Le DSI-CORES vise à développer des outils et des recommandations pour faciliter l’adoption de l’open science sur le campus, et à les diffuser à travers des formations, des séminaires, des hackatons, etc. La reproductibilité de la science en est également au centre de l’attention. Ce dernier sujet prend en effet une importance croissante à mesure qu’il apparait qu’une large part des résultats expérimentaux publiés dans des journaux à comités de lecture ne sont pas reproductibles (les estimations les plus récentes évoquent presque la moitié)[4]. Or, non seulement un résultat non-reproductible est dépourvu de valeur scientifique mais encore l’étendue du phénomène peut entacher la réputation du chercheur et de l’équipe, mais aussi de son département voire de la communauté scientifique.

A UC Berkeley, un groupe de travail « Reproducibility and open science » a vu le jour[5], en collaboration avec University of Washington et New York University, et avec des objectifs proches de ceux du DSI-CORES. Notons également que l’ouverture en 2019 d’une unité interdisciplinaire Division of Computing, Data Science, and Society[6] impliquant des étudiants et des chercheurs de plusieurs départements a vu l’émergence d’une réflexion sur la prise en compte de l’open science, des contributions diverses (code informatique open source par exemple), ainsi que de la recherche collaborative pour l’avancement et la progression de carrière de ces chercheurs.  Une autre initiative de UCB dans ce sens a consisté à ouvrir un poste de « open science librarian », l’année dernière, pour aider et conseiller les scientifiques du campus de UC Berkeley qui souhaitent adopter l’open science. Notons que dès 2015, UC avait adopté une politique d’open access s’appliquant aux employés de l’ensemble des campus UC[7].

On peut s’attendre à ce que la pandémie de COVID-19 renforce cette tendance à un partage accru et plus précoce de la recherche. Le sentiment d’urgence a considérablement raccourci les délais de publication des articles dans certains domaines[8], a entrainé des partages très rapides de résultats expérimentaux[9], et a poussé de plus en plus de chercheurs à publier des travaux préliminaires via des archives ouvertes (preprint servers)[10]. Même si cela est probablement provisoire, il est possible que certaines habitudes finissent par s’installer dans la communauté scientifique.

Conclusion :

Ainsi, on observe qu’à défaut d’une approche descendante (top-down) qui est privilégiée en France, sous la tutelle du MESRI, une approche ascendante (bottom-up) vers la science ouverte se développe aux Etats-Unis : le mouvement étant initié par les chercheurs eux-mêmes, en s’organisant entre eux. Reste à voir comment cette impulsion va pouvoir se diffuser au sein des universités, et notamment au sein des comités en charge de l’avancement des carrières des chercheurs. En effet, la prise en compte dans la promotion des scientifiques de tous les produits de la recherche (logiciels libres, données en libre accès, etc.) et pas seulement des articles publiés dans des revues prestigieuses comme cela est largement le cas aujourd’hui, apparait comme une étape essentielle à une adoption plus large de la science ouverte.

[1] https://www.etalab.gouv.fr/wp-content/uploads/2018/04/PlanOGP-FR-2018-2020-VF-FR.pdf

[2]https://www.ouvrirlascience.fr/wp-content/uploads/2018/08/PLAN_NATIONAL_SCIENCE_OUVERTE_978672.pdf

[3] https://datascience.stanford.edu/news/open-science-center-launches

[4] https://www.nature.com/news/1-500-scientists-lift-the-lid-on-reproducibility-1.19970

[5] https://bids.berkeley.edu/working-groups/reproducibility-and-open-science

[6] https://data.berkeley.edu/

[7] https://osc.universityofcalifornia.edu/scholarly-publishing/uc-open-access-policies-background/presidential/

[8]https://www.nature.com/articles/d41586-020-01520-4

[9]https://www.sciencemag.org/news/2020/01/chinese-researchers-reveal-draft-genome-virus-implicated-wuhan-pneumonia-outbreak

[10]https://cen.acs.org/policy/publishing/Pandemic-puts-preprints-first/98/i22

Rédacteur :

Jean-Baptiste BORDES, Attaché pour la science et la technologie, [email protected]

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