Cette note est une synthèse des principaux exemples et messages mentionnés par la presse américaine.
1 – Plusieurs journalistes font part des difficultés récurrentes rencontrées par les scientifiques concernant la publication de leurs résultats, les appels à projet, certains financements…
Au cours de ces dernières années, plusieurs scientifiques issus ou financés par les agences fédérales aurait dû revoir certaines de leurs publications scientifiques relatives au changement climatique ou à l’environnement. Voici quelques exemples récents pour illustrer le vécu des chercheurs menacés de perdre leur financement de recherche s’ils ne nuancent pas les conclusions de leurs travaux dans le sens souhaité par leur hiérarchie, elle-même soumise aux orientations fixées par la Maison Blanche.
En avril 2020[1], le Dr. John Crusius, chercheur chimiste de la U.S. Geological survey, publia un article relatif à des techniques d’atténuation du changement climatique en utilisant les forêts pour le stockage carbone. L’U.S. Geological survey n’a pas autorisé la publication du papier sous son label et le chercheur aurait dû publier le résultat de ses recherches en son nom, sans le soutien de l’agence.
En janvier 2020, le New York Times a publié un article[2] faisant état d’une étude du Corps des ingénieurs de l’armée qui explore les possibilités de protéger New York et le New Jersey des inondations provoquées par les tempêtes. Le document examine diverses stratégies pour protéger la côte contre les tempêtes telle que Sandy qui a dévasté le New Jersey en 2012. Quatre des cinq solutions proposées comprennent un mur, barrière contre les ondes de tempête, dont une digue de 6 miles de long. Peu après la mise en ligne de l’article, le président Trump a tweeté son mécontentement concernant le projet. Quelques jours plus tard, sans aucune justification, l’agence a annulé les crédits fédéraux nécessaires à la finalisation de l’étude.
Autre exemple, en avril 2020, la revue à comité de lecture PLOS ONE[3] publiait les résultats d’une étude conduite sur plusieurs organismes qui révélait que 631 de leurs agents étaient d’accord ou fortement d’accord pour dire qu’on leur avait demandé d’ommettre l’expression « changement climatique » de leur travaux. Dans le même document, 703 employés ont dit éviter de travailler sur le changement climatique ou d’utiliser l’expression.
Face aux positions de l’administration Trump, de nombreux chercheurs en sciences du climat font état d’une autocensure prégnante au sein de leur communauté. Cependant, l’article du New-York Times cité précédemment observe que cette autocensure est difficile à identifier et tracer puisque aucune directive n’émane d’un support officiel.
2 – Les agences fédérales et leur gouvernance mises en cause
Le rapport[4] d’un inspecteur général de l’EPA rendu public en mai 2020 a révélé que près de 400 employés interrogés en 2018 pensaient qu’un responsable avait supprimé ou interféré dans la diffusion d’informations scientifiques sans jamais avoir signalé ces interventions. Une enquête distincte de l’Union of Concerned Scientists, menée en 2018 auprès de plus de 63 000 employés fédéraux de 16 agences, a identifié l’EPA et le ministère de l’Intérieur (United States Department of the Interior, DOI) comme étant “les dirigeants les moins dignes de confiance en matière d’intégrité scientifique”.
Le changement climatique est l’exemple emblématique de cette confrontation. En 2018, l’EPA a proposé d’inverser un règlement de l’ère Obama pour limiter la pollution au charbon qui contribue au réchauffement du climat[5]. Certains fonctionnaires ont alors inclus une analyse montrant qu’en permettant plus d’émissions, la nouvelle version du règlement contribuerait à 1 400 décès prématurés par an. L’objectifs des employés aurait été de donner aux avocats de l’environnement des analyses scientifiques utiles pour contester le nouveau règlement. Le sujet n’est pas clos puisque les premiers dossiers ont été déposés devant les tribunaux en avril 2020.
Autre exemple mentionné par le Blog Reveal News [6] : en septembre 2019, le Service des Parcs a tenté de supprimer toute mention du rôle de l’humain dans le changement climatique dans un rapport sur l’élévation du niveau de la mer. Son auteure principale, le Dr Caffrey, s’y étant opposé, le rapport a urait finalement été publié avec un an de retard sans les modifications attendues. Dr Caffrey a toutefois déclaré avoir été ensuite rétrogradée, avant que son poste ne soit supprimé. Les experts de cette institution demeurent mobilisés, certains pour raconter leurs déboires, d’autres pour “améliorer l’intégrité scientifique, tout en suivant la loi”.
3 – Cependant, aucune baisse du budget des agences réservé à la recherche sur le climat n’est observée
En février 2019, la chaîne ABC[7] affirmait que le gouvernement américains ne connaissait pas son budget consacré au changement climatique. Le rapport du GAO (US government accountability office) de 2018 avait révélé que, bien que le Bureau de la gestion et du budget ait indiqué que le gouvernement fédéral avait dépensé plus de 154 milliards de dollars pour des activités liées au changement climatique depuis 1993, 94% de ce montant n’avait probablement pas été utilisé pour s’attaquer directement aux changements climatiques ou ses risques. Bon nombre des projets présentés comme des « activités liées au changement climatique” s’avèreraient en réalité éloignés de la thématique.
Il est donc difficile de trouver une analyse consolidée de l’évolution des budgets fédéraux dédiés à la recherche environnementale, écologique ou climatique. Cependant une analyse ciblée des lignes budgétaires des agences qui soutiennent la recherche dans ces domaines ne montre pas de chute des budgets concordant avec l’arrivée de l’administration Trump, mais plutôt une stabilisation, voire une légère augmentation. Les budgets à la baisse proposés par la Maison Blanche ont été systématiquement corrigés par le congrès.
Par exemple, la proposition du congrès pour la loi de finance 2021, prévoit 5,45 milliards de dollars pour la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), soit 101,9 millions de dollars de plus que le niveau adopté pour l’exercice 2020 et 829,2 millions de dollars au-dessus de la demande de la Maison Blanche. Le financement aidera à répondre à d’importantes priorités telles que la recherche sur le climat, l’amélioration des prévisions météorologiques, la réduction des proliférations d’algues nuisibles, la gestion des pêches et l’éducation. Pour mémoire, les programmes de recherche sur le climat de la NOAA avaient bénéficié en 2020 d’une augmentation de 10,5 millions de dollars, passant à 169,5 millions de dollars, soit 82 millions de dollars de plus que la demande de l’administration Trump pour cette année fiscale.[8]
Autre exemple, le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) a bénéficié en 2020 de 15 millions de dollars, soit une augmentation de 5 millions de dollars pour étudier les impacts du changement climatique sur la santé.
Pour l’exercice 2021, le projet de loi actuel prévoit 49,6 milliards de dollars pour des programmes de développement du secteur de l’énergie et de l’eau (soit une augmentation de 3%), avec l’ambition affichée de “stimuler l’innovation énergétique, créer des emplois mais également “d’atténuer et de s’adapter au changement climatique”.
4 – Des perspectives incertaines.
L’élection présidentielle à venir pourrait faire évoluer la situation des chercheurs. Le mardi 30 juin 2020, le comité restreint démocrate de la chambre des représentants en charge de la crise climatique publia son plan d’action (Congressional Action Plan)[9]. Celui-ci précise la stratégie démocrate visant à préparer les Etats-Unis au réchauffement climatique. Ce plan largement repris lors de la convention démocrate du 17 au 19 août, couvre de nombreux aspects, dont un axe entier consacré à la structuration de la recherche scientifique sur le changement climatique. L’axe “renforcement des sciences climatiques” se décompose en 8 blocs qui couvrent à la fois les aspects de modélisations des évolutions climatiques, leurs impacts sur les activités humaines, et également les notions d’intégrité scientifique, souvent discutées pour des travaux climats lorsqu’ils prennent une dimension politique. Le plan aborde également l’implication des Etats-Unis dans les groupes de travail et de réflexion internationaux ainsi que les notions de gouvernance relatives à l’utilisation de technologies d’interventions sur le climat.
Conscient que la recherche doit s’inscrire dans un temps bien plus long que le temps politique, le plan d’action des démocrates offre une vision sur le long terme et se veut résolument pragmatique sur le financement de ces recherches “qui devrait, pour le bien-être de l’économie et du peuple, survivre aux aléas politiques et aux coupes budgétaires”.
Les intervenants de la convention républicaine ont pour leur part maintenu le cap, en rappelant que l’exploitation des énergies fossiles est à l’origine du formidable développement économique et de bien être qu’ont connu les américians au cours du siècle dernier.
Rédacteurs : Stéphane RAUD (Attaché pour la science et Technologie, Washington) ; Julien Bolard (Attaché adjoint pour la science et Technologie, Washington)
[1] https://www.nytimes.com/2020/06/15/climate/climate-science-trump.html
[2] https://www.nytimes.com/2020/01/17/nyregion/sea-wall-nyc.html
[3] https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0231929
[4] https://www.epa.gov/sites/production/files/2020-05/documents/_epaoig_20200520-20-p-0173.pdf
[5] https://www.nytimes.com/2020/03/27/climate/trumps-environmental-rollbacks-staff-scientists.html?action=click&module=RelatedLinks&pgtype=Article
[6] https://www.revealnews.org/blog/national-parks-report-finally-released-uncensored/
[8] https://www.sciencemag.org/news/2019/12/final-2020-spending-bill-kind-us-research
[9] https://climatecrisis.house.gov/sites/climatecrisis.house.gov/files/Climate%20Crisis%20Action%20Plan.pdf