Une collaboration entre University of California in San Francisco (UCSF), Mount Sinaï à New-York, et l’Institut Pasteur à Paris a terminé en un temps record une analyse des interactions entre le SARS-Cov-2 et sa cellule hôte.

Un travail collaboratif remarquable d’identifications de molécules potentiellement actives contre le coronavirus 

Un consortium de 22 laboratoires de UCSF mené par le Quantitative Bioscience Institute (QBI, SF) a entrepris d’analyser et modéliser les interactions moléculaires entre le virus et les cellules humaines qu’il infecte. Ce travail d’identification permet rechercher parmi les médicaments connus, en particulier les antiviraux déjà existants et approuvés par la FDA, des molécules potentiellement actives contre ce nouveau coronavirus

La stratégie de criblage utilisée par les chercheurs est basée sur un principe simple en théorie qui consiste dans un premier temps à cartographier l’ensemble des modifications d’expression des gènes et des protéines ayant lieu dans les cellules ou les tissus suite à une infection par le virus, et dans un deuxième temps à les comparer à celles résultant de l’action de molécules thérapeutiques. Sont retenues, les molécules qui au niveau cellulaire entraînent des modifications antagonistes de celles induites par l’infection. 

La carte des interactions moléculaires virus-cellule a été complétée le vendredi 20 mars, soit après 2 semaines seulement d’un effort intense (en temps normal ce projet de recherche aurait pu s’étendre sur 2 ans) et une cinquantaine de molécules candidates ont été identifiées. 

Ce travail s’inscrit dans une collaboration plus vaste avec les laboratoires de l’Institut Pasteur et de la Icahn School of Medicine de Mount Sinaï qui par le biais de techniques similaires ont identifiés une première série de molécules candidates potentielles. Les chercheurs de QBI ont fait parvenir par FEDEX à New York et à Paris les dix premiers candidats afin que ces partenaires, qui ont la capacité de réaliser des tests sur des modèles mammifères, puissent évaluer leur efficacité. 

Pour Benjamin tenOerven, directeur avec Marco Vignuzzi de l’unité de recherche conjointe Pasteur-Mount Sinaï sur les pathogènes viraux, l’enjeu est maintenant de prioriser l’étude de ces molécules à partir des données déjà connues sur leurs mécanismes d’action et publiées dans la littérature scientifique.

Un choix stratégique, couplant repositionnement thérapeutique, analyses quantitatives et modèles animaux, qui répond à une urgence sanitaire

La stratégie de repositionnement thérapeutique privilégiée par ces trois institutions est considérée comme l’un des axes majeurs de la recherche contre le COVID-19. En effet, si le développement d’un vaccin ou d’une nouvelle molécule thérapeutique nécessite, malgré les efforts déployés et des procédures accélérées, des temps incompressibles liés aux étapes nécessaires à l’évaluation de la toxicité, la sécurité, l’efficacité et, en cas de succès, le déploiement industriel ; un médicament déjà connu et utilisé dans d’autres indications ne nécessiterait en principe quant à lui qu’un nombre réduit d’étapes avant d’être utilisé comme traitement contre le coronavirus. 

Toutefois, et comme toute innovation thérapeutique, les incertitudes sur les chances de succès demeurent. L’originalité de la stratégie déployée par QBI et ses collaborateurs réside dans son caractère systématique. L’identification de médicaments potentiellement efficaces augmente mécaniquement les chances de succès d’au moins l’un d’entre eux. Elle permet en outre de tester des médicaments-candidats issus de champs thérapeutiques autres que la lutte contre les maladies infectieuses. 

Entre pénurie de modèles souris et délais d’infection, la question cruciale des modèles animaux

Le choix du modèle animal en phase pré-clinique nécessite d’une part des modèles reproduisant de façon la plus fidèle possible les processus physiologiques et les conséquences de l’infection chez l’homme et d’autre part, s’agissant de pathologies liées à un agent pathogène d’une installation de niveau de protection dite P3. A ce titre, le modèle souris n’est, de façon générale, pas infectée par les coronavirus humains. Des chercheurs ont créé un modèle murin capable d’être infecté par les coronavirus par mutation d’un récepteur présent à la surface de leurs cellules. Benjamin tenOever et Ron Corley, Directeur du National Emerging Infectious Diseases Laboratories de Boston University qui travaille également sur le coronavirus, nous ont tous les deux fait part de l’extrême difficulté à obtenir cette lignée de souris. Ils évoquent des délais de plusieurs mois d’attente avant d’obtenir la lignée, puis d’avoir une colonie suffisante pour effectuer des tests d’efficacité. C’est la raison pour laquelle ils se sont tous deux orientés vers un modèle de type furet, aussi utilisé dans les études d’infection par d’autres virus tels que celui de la grippe. 

Une collaboration tripartite

L’unité de recherche conjointe Institut Pasteur – Icahn School of Medicine

La collaboration entre le Mount Sinaï et Pasteur est issue d’un séjour de Benjamin tenOever dans le cadre d’un financement Fullbright. Celui-ci a à cette occasion fructueusement travaillé avec le groupe de Marco Vignuzzi de Pasteur. En revenant aux Etats-Unis, à Mount Sinaï (NYC), Benjamin tenOever et Marco Vignuzzi ont poursuivi cette collaboration, obtenant des financements français et américains. La collaboration s’est intensifiée à un tel point que le laboratoire de la Icahn School of Medicine de Mount Sinaï a intégré les laboratoires satellites internationaux de Pasteur sous la forme notamment d’une unité de recherche conjointe sur les pathogènes viraux [1]. Cela se traduit par des échanges de chercheurs post-doctoraux et d’étudiants, et une communication hebdomadaire entre les deux labos. Marco Vignuzzi est aussi devenu Professeur adjoint à Mount Sinaï. Enfin, la collaboration s’est élargie au département virologie de Mount Sinaï et aux aspects philanthropiques, puisque des fonds sont levés pour soutenir les échanges entre Pasteur et Mount Sinaï

Avec la pandémie, le laboratoire de Benjamin tenOever à Mount Sinaï et celui de Marco Vignuzzi ont décidé de réorienter tous leurs efforts de recherche sur le nouveau virus afin d’étudier son fonctionnement, la dynamique du virus, les réponses tissulaires et corporelles à l’infection. 

Quantitative Biosciences Institute 

Institut de modélisation en biologie, QBI est un centre de recherche apparu en 2016 qui a pour objectif d’identifier les mécanismes cellulaires communs dans différentes pathologies qu’elles soient infectieuses, dégénérative ou cancéreuse à travers une approche transdisciplinaire. Son directeur Nevan Krogan s’est illustré en produisant des cartes d’interaction pour le VIH et Ebola. QBI fédère autour de lui une centaine de chercheur de UCSF dans le cadre du QBI Coronavirus Research Group. 

Conclusion 

Ces trois laboratoires ont des expertises et compétences très complémentaires en biologie quantitative et modèles infectieux et le projet mené par l’alliance de QBI/UCSF, du Mount Sinaï et de l’Institut Pasteur se distingue par son approche pragmatique, systématique, ainsi que son potentiel pour des applications rapides et décisives. Ce travail a permis d’identifier un certain nombre de molécules existantes qui sont prometteuses. La collaboration va à présent s’efforcer de les évaluer rapidement dans des tests cliniques. 


Rédacteurs : Maxime BENALLAOUA  et Jean-Baptiste BORDES (SST San Francisco), Anne PUECH, (SST Boston), Yves FRENOT (SST Washington) ; contribution de Philippe ARHETS, (INSERM, Washington)

Note

[1] https://www.mountsinai.org/about/newsroom/2017/mount-sinai-and-institut-pasteur-announce-affiliation

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