Stratégie américaine de recherche et développement d’un vaccin contre le SARS-CoV-2

Dès les débuts de l’épidémie, le Président américain a compris l’intérêt de développer un vaccin au plus vite. Sûr de son fait, il a annoncé à plusieurs reprises au début de la crise que les Etats-Unis en disposeraient rapidement avant de faire machine arrière, publiquement, après les corrections de ses conseillers scientifiques, au premiers rang desquels A. Fauci, le directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID) au NIH. Il a ensuite focalisé son action sur les traitements tout en poursuivant l’objectif de développer un vaccin, de façon plus confidentielle, comme l’a démontré le lancement discret de l’opération « Warp Speed », qui fixait l’objectif ambitieux de disposer de vaccins en quantité suffisante pour l’ensemble des américains avant la fin de l’année 20201. D. Trump en a fait un élément clé de son intervention du dimanche 3 mai depuis le mémorial de Lincoln, affirmant que « les Etats-Unis disposeraient d’un vaccin d’ici la fin de l’année 2020 ».

Stratégie développée

La façon la plus rapide d’obtenir un vaccin contre le SARS-CoV-2 est de capitaliser sur des vaccins déjà existants et pour lesquels les chaînes d’approvisionnement et de production sont établies. Une alternative est de révolutionner les processus de fabrication existants. Les Etats-Unis ont poursuivi ce double objectif : plus d’une quarantaine de projets de recherche vaccinale contre le SARS-CoV-2 ont été lancés aux Etats-Unis. A des stades plus ou moins avancés, deux d’entre eux ont régulièrement été très tôt évoqués dans la presse américaine : les projets vaccinaux entrés en essai de phase I développés par les entreprises Moderna Therapeutics et Inovio (Annexe 1). Cette activité foisonnante se retrouvait dans les travaux publiés par des laboratoires américains pour lesquels 44 pré-publications avait déjà été identifiées au début du mois de mai (Annexe 2) à partir de la base de données CORD19 accessible sur la plateforme Kaggle2.

Stratégie nationale de recherche

La stratégie des Etats-Unis en termes de recherche vaccinale est habituellement portée par le National Vaccine Plan Office (NVPO) du Department of Health and Human Services (HHS), le ministère américain de la santé et des affaires sociales. Ce plan, mis en place en 2010 lors de la présidence Obama, avait fixé comme priorité la promotion de l’innovation ainsi que la sécurité des vaccins (Annexe 3). Jusqu’en 2017, le NVPO gérait un programme coopératif comprenant des financements pour des projets s’inscrivant dans ces thématiques. Il n’y a cependant plus eu de récipiendaires depuis 2017. Ce n’est de fait pas le NVPO mais le bras armé financier du HHS, la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), ses Instituts de recherche (National Institutes for Health, NIH) ainsi que la Food and Drug Administration (FDA) qui ont été sur le devant de la scène pour porter la stratégie américaine de recherche et de développement de vaccins contre le coronavirus.

Stratégie adaptée au SARS-CoV-2

Dans le contexte de la crise sanitaire liée au SARS-CoV-2, la stratégie déployée par le HHS a été initialement opportuniste, soutenant les décisions stratégiques internes des grands laboratoires et des startups des secteurs pharmaceutiques et biotechnologiques. La BARDA, sous la houlette de son directeur Rick Bright (nommé à ce poste par Obama mais remercié par l’administration Trump le 20 avril 2020), a ainsi mobilisé cette communauté scientifique par le biais de l’ouverture d’un appel à projets large ou Broad Agency Announcement visant à soutenir financièrement les efforts de recherche privés. Plusieurs partenariats avec des industriels ont ainsi été établis pour accompagner le développement d’un vaccin, représentant un investissement fédéral dépassant le milliard d’USD (cf. infra).

Une mobilisation 24/7 de la FDA

La Food and Drug Administration (FDA), l’agence fédérale chargée de l’alimentation et des médicaments, est responsable de l’autorisation de commercialisation et d’utilisation des nouveaux agents thérapeutiques et des vaccins. Son rôle dans la gestion de la crise a été d’utiliser ses pouvoirs exceptionnels pour mettre en place dans des délais extrêmement raccourcis des Emergency Use Autorization (EUA) pour les tests, les équipements de protection individuelle, le matériel médical (dont les ventilateurs) ainsi que des Investigational New Drug application (IND) pour les médicaments. Elle fait l’objet à la fois de critiques sur sa gestion des tests de diagnostiques, en particulier les tests sérologiques dont la fiabilité de ceux qui étaient disponibles sur le marché US était remise en cause, mais aussi d’éloges de la part des entreprises du secteur de biotechnologies qui louaient l’investissement de l’agence 24/24h, 7/7j. Dans le cadre de la découverte d’un traitement et d’un vaccin, l’agence aura un rôle important pour les autoriser rapidement tout en suivant les éventuels problèmes qu’ils pourront poser.

Financements publics

Principaux instruments financiers de l’Etat Fédéral

Les montants des financements votés par le Congrès au début de l’épidémie pour la recherche sur le COVID-19 et le développement de vaccins et ceux destinés aux agences américaines et départements se déclinent, par amendement, comme suit (Annexe 4):

  • Coronavirus Preparedness and Response Supplemental Appropriations Act – signé le 6 mars 2020, pour première intervention d’urgence : enveloppe totale de 8,7 milliards USD dont presque 2,9 milliards USD pour la recherche et le développement de vaccins, de produits thérapeutiques et d’outils diagnostiques (principaux destinataires: la BARDA, et le NIAID)
  • Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security (CARES) Act – signé le 27 mars 2020. Le plan de soutien massif prévoit un financement de 415 millions USD alloués au Department of Defense (DoD) pour le développement de vaccins et d’antiviraux, de tests de laboratoire ainsi que l’achat de tests pour la détection du COVID-19.

Les montants prévus dans ces textes par le Congrès pour le volet « réponse internationale » au Covid-19 (un total de 2,4 milliards USD dont 900 millions USD ont été effectivement alloués) étaient en revanche spécifiquement prévus pour répondre à l’urgence sanitaire, à l’aide humanitaire et au soutien économique des pays bénéficiaires de l’aide américaine.

Soutien aux projets prometteurs

L’administration a prolongé son action en allant jusqu’au renforcement des capacités de production des projets vaccinaux les plus prometteurs et susceptibles d’aboutir rapidement :

  • Elle a misé par exemple sur les vaccins à ARNm en promettant 483 millions USD à Moderna pour augmenter sa production à hauteur de dizaines de millions de doses de son vaccin à ARNm par mois en 2021 (voir aussi pour plus de détails). Les vaccins à ARNm dont aucun n’avait encore jamais été approuvé par la FDA sont devenus l’une des principales stratégies innovantes en vaccinologie (voir note 3 sur l’essai concurrent de vaccin à ARNM de Pfizer/BioNTech qui a démarré le 5 mai aux Etats-Unis). L’essai actuel conduit par le NIAID avec le candidat vaccin contre le SARS-CoV-2 de Moderna a terminé son recrutement début début mai et a donné quelques semaines plus tard des résultats prometteurs. Les résultats de son premier essai de vaccin mRNA, dirigé contre le virus du ZIKA, et dévoilés par l’entreprise le 14 avril, étaient eux aussi riches de promesses.

  • La BARDA a investi aussi avec Janssen, filiale de Johnson & Johnson (J&J), jusqu’à un milliard USD sur un projet vaccinal plus classique développé avec le Beth Israel Deaconess Medical Center à Boston. Dans le cadre de cet accord, le gouvernement américain versera un peu plus de 456 millions USD pour soutenir les efforts de l’entreprise pour le développement de ce vaccin et créer de nouvelles capacités de production aux États-Unis. L’objectif était, là aussi, d’accroître significativement les capacités de production de J&J, qui comptait produire aussi son vaccin dans son usine basée aux Pays-Bas4 et commençait à s’entourer d’un réseau d’entreprises partenaires5.

La BARDA a également misé sur un projet de Sanofi en accordant un financement de 30 millions USD.

Mais devant la multiplication des initiatives en tout genre, le gouvernement fédéral a cherché depuis peu à structurer cette recherche foisonnante par la mise en place d’instruments financiers dédiés ainsi que de partenariats publics-privés d’envergure.

L’opération disruptive de la Maison Blanche : « Operation Warp Speed »

Le 30 avril le président Trump a confirmé l’existence d’un programme intitulé « Operation Warp Speed » qui avait pour objectif d’accélérer la production de vaccins afin d’obtenir 300 millions de doses pour janvier 2021. L’opération prévoyait de recourir à un « master protocol » permettant de tester plusieurs vaccins à la fois et faire avancer les plus prometteurs au lieu de mener plusieurs essais cliniques au niveau de chaque fabricant.

Le groupe qui supervisait l’opération a commencé par présélectionner 14 projets vaccinaux parmi la centaine de projets mondiaux, et prévoyaitd’en retenir 6 à 8, pour les pousser en parallèle tant en termes d’essais cliniques que de mise à l’échelle de production pour les candidats les plus prometteurs ; une liste de 5 a finalement été rendue publique mi-juin (voir article dédié). A terme, 3 à 4 projets sont espérés pour une mise en production début 20216. Ce projet a rencontré toutefois le scepticisme des experts scientifiques. Il n’y a en effet pas de précédent pour un développement aussi rapide d’un vaccin qui nécessite généralement entre 5 et 10 ans (mais parfois 15 – papillomavirus – ou 28 ans – varicelle). Si A. Fauci a indiqué que « c’était faisable si les choses s’agencent bien », (« I think that is doable, if things fall in the right place. »), il a toutefois souligné à de plusieurs reprises que le développement d’un vaccin prendrait au mieux 12 mois voire plutôt 18 mois, ce qui serait déjà une performance.

Ce projet serait financé par des fonds déjà disponibles pour le gouvernement et ne nécessiterait pas de nouvelle autorisation du Congrès. Il soulève un certain nombre de questions en particulier au niveau : (i) de la production : si un vaccin est effectivement mis au point comment, comment assurer en pleine pénurie nationale (ex : d’écouvillons pour les tests, d’équipements de protection), la production d’un nombre suffisant de flacons et de seringues nécessaires ?; (ii) de la santé publique et éthique : avec un recul insuffisant, quels américains pourraient ou devraient être vaccinés en premier ? ; (iii) de la biologie : sur quelle(s) souche(s) le vaccin sera-t-il efficace ? ; (iv) clinique : l’immunité étant une question particulièrement complexe, comment générer une réponse immunitaire suffisamment forte et durable ? Cette initiative peut être mise en parallèle avec une opération similaire menée contre la grippe porcine de 1976 par le Président Ford et qui se termina en fiasco7.

Partenariats Public-Privé

ACTIV, un partenariat public-privé dédié aux essais cliniques, ouvert à l’international

Accelerating COVID-19 Therapeutic Interventions and Vaccines (ACTIV) est un partenariat public-privé de grande envergure dont le but était d’accélérer la mise en place des essais cliniques. On pourra se référer à l’article dédié.

Les actions de l’Office for Science and Technology Policy

L’Office for Science and Technology Policy (OSTP) a essentiellement axé son soutien autour des technologies du numérique ou en lien avec l’Intelligence Artificielle. Elles permettent de suggérer des pistes de recherche à explorer ou de proposer des solutions thérapeutiques qui devront être validées par la suite. Voir article dédié, section vaccins.

L’OSTP a également fédéré une initiative centrée sur le calcul haute performance8 avec le Département américain de l’énergie et IBM. Ce consortium réunissaitt les agences fédérales (NSF et NASA), les laboratoires nationaux (dont Los Alamos et Oak Ridge), les industriels (dont Amazon Web Services, Google Cloud, Hewlett Packard, Microsoft, NVIDIA, Dell, AMD) et les universités (ex. : MIT, UT Austin, UCSD) qui offrent du temps et des ressources de calcul (e.g. capacité de stockage) sur leurs supercalculateurs pour des recherches computationnelles complexes visant à accélérer la recherche thérapeutique et vaccinale.

Un investissement important des fondations et entreprises privées

En complément de l’action du gouvernement américain, le secteur privé s’est mobilisé : (i) des fonds de soutien à la recherche ont été lancés, (ii) des entreprises ont proposé l’utilisation gratuite de leurs services à destination des équipes de recherches, agences, ou tout professionnel dont l’activité relèvait de la lutte contre la pandémie, (iii) d’autres entreprises ont mis à disposition de la recherche leur puissance de calcul par le lancement de programmes d’accès à leurs supercalculateurs.

De façon notoire, la Fondation Gates qui a réorienté quasiment l‘ensemble de son activité quotidienne sur la question du coronavirus et suivait de près les avancées de 8 à 10 projets de recherches vaccinales, a investi un total de 250 millions USD afin de protéger les populations à risque en Afrique et en Asie du Sud, et accélérer le développement de vaccins, de médicaments et de diagnostics9. Elle a investi aussi dans le CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations) lequel finance Moderna, et s’est associée au projet Accelerator For COVID-19 Health Tools (ACT Accelerator), avec une contribution de 100 millions d’euros, dont le troisième pilier portait sur le développement, la production et l’accès équitable aux vaccins. La fondation a par ailleurs contribué à hauteur de 5 millions USD à la réponse au Covid-19 en Chine et travaillait avec un large éventail de partenaires des secteurs public et privé chinois afin de soutenir les efforts visant à établir des outils pour rapidement confirmer les cas de Covid-19, isoler et soigner les patients et accélérer le développement de traitements et de vaccins.

Par ailleurs, la Chan Zuckerberg Initiative a financé l’expansion du laboratoire clinique certifié de l’Université de Californie à San Francisco afin de fournir une capacité locale de test beaucoup plus importante.

Conclusion

La stratégie nationale en termes de vaccins contre le SAR-CoV-2 a été dictée par la Maison Blanche. Le Directeur de la BARDA, Rick Bright, a été démis de ses fonctions le 23 avril 2020, et son remplaçant, Peter Marks, a été nommé le 30 avril. 10 11 Le profil de ce dernier – il supervisait à la FDA les autorisations des vaccins et des thérapies géniques – était déjà un indice de la pression que la Maison Blanche tenait à faire porter sur une validation très rapide des protocoles expérimentaux et des autorisations des nouveaux vaccins en cours d’essai de phase I.

Cette stratégie volontariste de la part de la Maison Blanche soulève aussi des problèmes de logistique et la guerre aux usines de production a vite pris le relais de la course aux vaccins.

Restait que dans cette course aux vaccins, seule solution de lutte contre les souches12 de SARS-CoV-2 susceptible de garantir un retour durable à « une nouvelle normalité », un élément pourrait venir perturber cette stratégie: la réticence d’une frange de la population américaine à se faire vacciner pour des raisons différentes (croyances religieuses, peur des produits inoculés, confiance dans son groupe social…). Selon une enquête d’opinion13, près de 20% des personnes interrogées prévoient de ne pas se faire vacciner. A l’opposé – ce pays étant rempli de contrastes, on signalera l’initiative « 1Daysooner » (https://1daysooner.org/) qui réunit plus de 4 000 volontaires sains, prêts à se faire inoculer le virus SARS-Cov-2 pour aider au développement d’un vaccin14.

Annexes

Annexe 1 – Les projets vaccinaux aux Etats-Unis (mise à jour au 7 mai 2020)

Annexe 2 – Liste des publications – recherche vaccins SARS-CoV-2 (mise à jour au 3 avril 2020)

Annexe 3 – National Vaccine Plan

Annexe 4 – Détails des financements votés par le congrès

Annexe 5 – Les partenaires du consortium ACTIV


Rédacteurs : Anne PUECH (SST Boston), Pascal LOUBIERES (SST Los Angeles), Renaud SEIGNEURIC (SST Houston), James DAT (SST Chicago), Xavier BRESSAUD et Yves FRENOT (SST, Washington), Philippe Arhets (INSERM, Washington).

Notes :

3 BioNTech a terminé fin avril les 12 premières inclusions de volontaires sains dans son essai de phase I en Allemagne visant à tester la sécurité du BNT162, un autre vaccin à candidat à ARNm. L’essai débuté le mardi 5 mai en partenariat avec Pfizer, implique la NYU Grossman School of Medicine et la University of Maryland School of Medicine et permettra d’étudier quatre variantes du vaccin appelés a1, b1, b2 et c2, afin de déterminer rapidement quelle combinaison de format d’ARNm et d’antigène cible est la plus prometteuse.

9 https://www.businessinsider.com/bill-gates-10-promising-coronavirus-vaccine-candidates-2020-5

12 https://nextstrain.org/ ce projet scientifique collaboratif suit en temps réel les différentes souches de SARS-CoV2 et leur évolution au niveau mondial

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