Quel avenir pour l’ "affirmative action" aux Etats-Unis ?

L’étude "Diversity and Affirmative Action in Higher Education" [1], réalisée par des chercheurs et professeurs de la "Tepper School of Business" de l’université Carnegie Mellon – et financée par la "Mac Arthur Foundation" et la "National Science Foundation"- analyse l’impact qu’aurait la suppression des politiques d’"affirmative action" à base raciale sur le système universitaire américain. La baisse du nombre d’étudiants issus de minorités serait immédiate et substantielle, tout particulièrement dans les universités les plus prestigieuses du pays. Le rapport souligne également les effets qu’auraient des mesures alternatives de nature non raciale, telles qu’on peut les observer dans les Etats ayant déjà abandonné les politiques d’"affirmative action". La situation californienne est à cet égard un véritable cas d’école, qui confirme les résultats de cette analyse, publiée dans "The Journal of Public Economic Theory" [i].

Aux Etats-Unis, l’"affirmative action" renvoie au traitement préférentiel accordé aux personnes issues de "minorités sous-représentées", à savoir les Noirs américains, les Hispaniques, les Amérindiens et les Asiatiques, minorités qui pour certaines d’entre elles ont souffert par le passé, à des degrés divers, d’un régime juridique discriminatoire. Nous proposons ici un point d’étape sur les politiques universitaires d’"affirmative action" basées sur le critère racial dont l’objectif est la diversification ethnique et raciale du corps étudiant. Instaurées dans les années 1960 puis très rapidement généralisées, ces politiques sont menées dans l’ensemble du territoire américain à l’exception de cinq états qui les ont depuis interdites (Californie, Texas, Floride, Washington et Michigan). L’"affirmative action" est aujourd’hui très largement remise en cause en raison de ses effets parfois pervers et souvent paradoxaux.

L’étude confirme s’il en était besoin l’effet, toujours aussi puissant, des politiques d’"affirmative action" sur la représentation des minorités dans l’université américaine. La suppression de tout dispositif d’"affirmative action" aurait ainsi pour conséquence une diminution drastique de la proportion d’étudiants issus de minorités inscrits dans les meilleures institutions du pays. L’absence de prise en compte du facteur "racial" (race-blind ou "colorblind") dans les procédures d’admission et la distribution des aides financières se solderait ainsi par une réduction de 35% du nombre d’étudiants issus de minorités dans les universités les plus renommées du pays, et une diminution d’environ 5% sur l’ensemble du système universitaire. Si les étudiants issus de minorités pâtiraient très largement d’un renoncement à toute mesure d’"affirmative action", les étudiants non issus de minorités ne verraient quant à eux qu’une très faible amélioration de leur situation relative.

Le rapport de la Tepper School se concentre également sur les conséquences inattendues que l’abandon de l’"affirmative action" pourrait avoir sur le niveau académique des étudiants. Les auteurs du rapport prévoient ainsi une chute importante des résultats obtenus au SAT ("Scholastic Aptitude Test") [2] par l’ensemble des étudiants inscrits dans les universités les plus sélectives. Les experts ont en effet pu conclure que, même lorsque l’"affirmative action" a été proscrite par loi, les universités les plus prestigieuses ont pris d’autres dispositions afin de conserver une présence significative d’étudiants issus de minorités au sein de leur établissement.

Ainsi, en cas de suppression de l’"affirmative action" à base raciale, les universités s’appuieraient sur d’autres critères tels que l’origine géographique pour recruter des jeunes issus de minorités. Or le recours à des catégories comme le code postal comme élément d’appréciation des dossiers de candidature se solderait par l’admission d’étudiants certes essentiellement issus de minorités, mais pas uniquement, et aux scores SAT relativement bas, là où le système actuel (fondé sur l’appréciation globale du dossier de l’étudiant, car il faut rappeler qu’il n’existe pas de quotas ethniques en la matière) privilégie les étudiants issus de minorités ayant des résultats élevés. Cela conduirait ainsi à une baisse du niveau moyen des étudiants issus de minorités inscrits dans les meilleures universités. A l’inverse, les universités moins prestigieuses attireraient un nombre plus important de ces étudiants issus des minorités, ayant obtenu des scores élevés au SAT. Cet effet inattendu révèle aussi en partie la fragilité de cette politique à base ethnique qui au moment où l’appartenance à une minorité n’est plus nécessairement synonyme d’exclusion sociale ou de faible niveau d’éducation, donne un avantage perçu comme illégitime à des jeunes de classes aisées dont les scores SAT permettraient de se battre à armes égales avec les "caucasiens". En d’autres termes, si l’approche ethnique conserve ses avantages, elle correspondrait de moins en moins à la réalité socio-économique du pays et exposerait par ailleurs les jeunes étudiants issus de minorités à un regard sceptique de la part de leurs camarades sur le bien fondé académique de leur admission.

Le cas de la Californie est exemplaire à cet égard. En effet, depuis l’abolition de l’"affirmative action" en Californie par la Proposition 209 (amendement à la constitution de Californie), UCLA et UC Berkeley qui sont les deux universités les plus prestigieuses de Californie, ont enregistré respectivement une baisse de 44% et 23% du nombre d’étudiants afro-américains entre 1999 et 2006. A l’inverse, les autres universités de Californie ont vu la proportion d’étudiants afro-américains augmenter sensiblement, de l’ordre de 40% en moyenne. Ces deux tendances s’appliquent également aux étudiants hispaniques. Alors que dans l’Etat de Californie, la population d’origine hispanique est devenue majoritaire depuis 2000, le nombre d’étudiants hispaniques a proportionnellement diminué dans les universités les plus cotées par rapport aux étudiants "caucasiens" et augmenté parallèlement dans les universités de deuxième rang.

Si la Proposition 209 s’est révélée être à double tranchant pour les étudiants afro-américains, elle s’est avérée très largement profitable pour les étudiants d’origine asiatique quelle que soit l’université fréquentée même s’il existe là encore des écarts selon la renommée de l’établissement. A UCLA et UC Berkeley, le nombre d’étudiants américano-asiatiques est passé respectivement de 2202 et 2303 en 1996 à 2529 et 2533 en 2000, soit une croissance respective 14% et 10%. Dans les universités moins prestigieuses, les taux de croissance sont bien supérieurs. Par exemple, l’université UC Santa Cruz a enregistré une hausse de 156%, le nombre d’étudiants d’origine asiatique. Dans les universités de niveau moyen, le nombre d’étudiants issus de la minorité asiatique a généralement augmenté plus rapidement que le nombre d’étudiants caucasiens, si bien que la proportion de jeunes américano-asiatiques par rapport aux jeunes Blancs est bien supérieure qu’auparavant. De façon surprenante, la suspension de l’"affirmative action" profite à la minorité asiatique. L’excellent niveau académique des étudiants d’origine asiatique et la forte croissance démographique de cette minorité sont en grande partie à l’origine de ce phénomène.

A mesure que la situation socio-économique des "minorités" perd de son homogénéité, et à mesure que beaucoup parmi les minorités rejettent un mode d’identification ethnique par ailleurs lui-même de moins en moins adapté au métissage croissant de la société américaine, se pose la question du futur de l’"affirmative action". Si les soucis d’ouvrir les universités (et la société en général) à l’ensemble des composantes de la société américaine reste présent, ce sont les modalités de l’affirmative action qui tôt ou tard vont évoluer. Comme le président Obama l’a suggéré tout au long de sa campagne, les politiques universitaires d’"affirmative action" ne doivent plus se baser sur le seul critère racial mais également sur des critères socio-économiques plus à mêmes d’assurer l’égalité des chances et la parité entre les différents groupes ethniques.

[1] Dennis Epple, Richard Romano, Holger Sieg, "Diversity and Affirmative Action in Higher Education". The Journal of Public Economic Theory (JPET), Août 2008 [ii].

[2] SAT : Examen d’entrée à l’université

Note: L’"affirmative action" aux Etats-Unis ne doit pas être confondue avec la discrimination positive en France. La discrimination positive consiste à accorder un traitement préférentiel aux groupes ayant fait l’objet de discrimination par le passé, en se basant sur des critères socio-économiques et non raciaux.

Source :

– "The Impact of a Ban on Affirmative Action" Scott Jaschik – 14/01/2009 – https://www.insidehighered.com/news/2009/01/14/affirm
– "Universal Ban on Affirmative Action Would Shrink Minority Presence At Top-Tier Colleges by More Than One-Third, Finds Carnegie Mellon Study" – Mark Bud – 14/01/2009 – https://www.cmu.edu/news/archive/2009/January/jan14_affirmativeactionstudy.shtml
– "The Specter of Affirmative Action in French Higher Education" Daniel Sabbagh and Agnes Van Zanten – 15/07/2007 – https://cshe.berkeley.edu/events/index.php?id=240
– "The Effects of Proposition 209 on California: Higher Education, Public Employment, and Contracting" Charles L. Geshekter 25/09/2008 – https://www.nas.org/polArticles.cfm?doc_id=351

Pour en savoir plus, contacts :

Rapport "Diversity and Affirmative Action in Higher Education" 08/2008 – https://www.andrew.cmu.edu/user/holgers/papers/ers_dpa.pdf
Code brève
ADIT : 58168

Rédacteur :

Florence Barnier, [email protected] – Pascal Delisle, [email protected]

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