Ouverture de l’Arctic Energy Office sur le campus de l’Université de Fairbanks, Alaska, et structuration des priorités scientifiques américaines en Arctique.

Arctique

Dans le contexte actuel de l’élection présidentielle américaine, l’Arctique ne semble pas faire partie du coeur du débat politique. Pourtant, plusieurs initiatives ont été menées ces dernières années et plus récemment avec l’objectif de structurer la présence américaine en Arctique via l’Alaska. Ces initiatives comportent des axes économiques, industriels et militaires qui s’appuient majoritairement sur des études et analyses scientifiques. Signe de l’intérêt croissant de l’administration Trump, la Maison Blanche a publié le 9 juin 2020 un Executive Order intitulé Memorandum on Safeguarding U.S. National Interests in the Arctic and Antarctic Regions dont l’objet est l’évaluation des capacités d’intervention dans les régions polaires et des perspectives d’investissements, notamment en navires brise-glace, pour le renforcement de la présence américaine.

La réouverture de l’Arctic Energy Office au sein du Département de l’Énergie (DoE).

Le jeudi 17 septembre 2020, le Département de l’Énergie (DoE) américain a annoncé l’ouverture du Arctic Energy Office sur le campus de l’université de Fairbanks, Alaska, un bureau dont la mission sera de coordonner les activités actuelles du département en Alaska et le développement de nouveaux projets scientifiques. Ces actions couvrent un ensemble de thématiques en lien avec la mission du DoE : exploration de gisement d’hydrate de méthane, recherche en génie électrique et énergies renouvelables, ainsi que le développement des technologies nucléaires de nouveaux réacteurs modulaires (Small Modular Reactor), tout en affichant une volonté de coopération internationale. Il s’agira d’agréger un ensemble d’activités de recherche et développement pour l’instant ventilées au sein de plusieurs directions du DoE, telles que l’Office of Science, l’Office of Electricity, et l’Office of Fossil Energy qui en assure la majeure partie des travaux via le National Energy Technology Laboratory.

L’ouverture de l’Arctic Energy Office avait été annoncée dès septembre 2019 par le Secrétaire à l’Énergie Dan Brouillette qui en avait fait une de ses priorités de mandat. Il est important de souligner que l’Arctic Energy Office avait déjà été en fonctionnement jusqu’en 2001, date à laquelle le manque de financement avait engendré sa fermeture. 

Selon le Secrétaire à l’Énergie Dan Brouillette qui s’est exprimé lors d’une audition au Sénat début mai, l’équipe de l’Arctic Energy Office serait composée de trois membres, devrait rapidement monter en puissance et disposerait d’un budget propre non précisé à ce stade. Le directeur par intérim, George Roe, est un scientifique de l’université de Fairbanks en Alaska qui rapportera directement au sous-Secrétaire à l’Énergie. Il possède une longue expérience dans le domaine de l’énergie qu’il a annoncé vouloir mettre à profit dans les divers projets énergétiques qui verront le jour sous son mandat.

Au-delà des enjeux scientifiques, l’intérêt grandissant des Etats-Unis pour l’Arctique  inclut également les questions de sécurité intérieure et de relations internationales. C’est pourquoi le Département de l’Énergie précise sur son site internet que l’Arctic Energy Office devrait travailler en étroite collaboration avec d’autres départements, en particulier le Département de la Défense (DoD) ainsi que le Département d’État (DoS).

Mobilisation de quelques agences de recherche autour des priorités fédérales en Arctique

Dans sa feuille de route annuelle publiée le 20 août 2020, Kelvin Droegemeier, directeur de l’Office of Science and Technology Policy, le bureau en charge de la politique scientifique de la Maison Blanche, expose les priorités américaines en matière de recherche et développement pour l’année fiscale 2022. Fait marquant, l’OSTP inscrit l’Arctique comme une priorité et invite les départements et agences fédérales de recherche à privilégier les programmes d’observation, d’étude et de prévision des processus physiques, biologiques et socio-économiques de l’Arctique, afin de promouvoir et protéger les intérêts américains.

Selon des scientifiques américains, l’évolution actuelle des priorités soutiendrait un ensemble d’initiatives couvrant un spectre scientifique plus large étendu à la compréhension des phénomènes physiques, l’amélioration des modélisations climatiques, le suivi de la fonte du pergélisol mais également les aspects sociologiques, les impacts socio-économiques du changement climatique sur les populations locales ou l’implantation des infrastructures industrielles. Enfin, la dynamique saisonnière de la glace de mer bénéficierait d’une surveillance accrue en vue d’évaluer de nouvelles perspectives en matière de trafic maritime et de sécurité intérieure.

La National Science Foundation, lors de la publication de ses “10 Big Ideas”, a récemment réintégré les thématiques arctiques dans sa feuille de route. L’initiative Navigating the New Arctic, lancée en 2016 et dotée d’un fond de 30 millions de dollars, entend développer la recherche scientifique sur de nouveaux axes, notamment :

  1. La résilience des communautés autochtones face à l’évolution de leur environnement dans un contexte de changement climatique ;
  2. La modélisation des modèles climatiques incluant de nouveaux cycles biologiques, chimiques et physiques ;
  3. L’impact des changements environnementaux de l’Arctique sur les infrastructures américaines en Alaska ;
  4. L’étude des enjeux liés à la Région Arctique en termes de  relations internationales, commerce et géopolitique ; 
  5. Le développement des coopérations scientifiques internationales.

Il convient également de rappeler que le comité consultatif pour les programmes polaires de la NSF, qui avait opéré depuis 1993 avant d’être absorbé par la direction Géosciences en 2013, est reconstitué en qualité de comité consultatif pour les programmes polaires en 2017.

Cet intérêt croissant pour l’Arctique déclenche des frictions aux interfaces d’enjeux économiques, scientifiques et environnementaux.

L’État de l’Alaska reste profondément partagé entre conservation et protection de l’environnement et perspective d’une croissance économique via l’exploitation d’hydrocarbures. Cette dichotomie d’enjeux difficilement conciliables revêt un caractère très politique, d’autant plus que cette région est hautement stratégique pour l’approvisionnement énergétique des Etats-Unis, comme le souligne la sénatrice républicaine Lisa Murkowski. Au regard de ces enjeux, il est d’ores et déjà possible d’observer certaines conséquences sur les politiques de recherche scientifique et de protection de l’environnement.

Un exemple récent, l’annulation, par l’administration Trump, de l’Executive Order intitulé “Northern Bering Sea Climate Resilience”. Ce décret publié le 9 décembre 2016 par l’administration Obama limitait les activités industrielles en reconnaissant l’importance pour les populations locales de la protection de la région de la mer de Béring. Le 28 avril 2017, soit 4 mois seulement après sa publication, l’Executive Order fut révoqué par l’administration Trump soutenue par la sénatrice de l’Alaska, Lisa Murkowski. 

Outre les perspectives d’exploitations d’hydrocarbures rendues possibles en mer de Béring par l’annulation de cet Executive Order, de nombreuses personnalités politiques au niveau local expriment leur souhait de voir de telles activités se développer dans une partie de l’Arctic National Wildlife Refuge (ANWR) et de la National Petroleum Reserve – Alaska (NPR-A). Dans cette optique, le Bureau of Land Management (BLM) a publié en août 2020 l’étude d’impact environnemental finale du plan directeur de développement de ConocoPhillips Alaska, Inc. L’étude est favorable au développement de l’énorme projet pétrolier et gazier pour l’exploitation d’hydrocarbures dans les zones spéciales de Colville River et Teshekpuk Lake, espaces naturels constitués d’écosystèmes fragiles. Toujours au mois d’août, l’administration Trump a autorisé des forages dans une zone côtière de l’Arctic National Wildlife Refuge.

Au-delà de l’impact environnemental de tels projets, des frictions entre opportunités économiques et messages scientifiques émergent. Un exemple récent est rapporté par le Washington Post dans un article du 30 septembre 2020, qui fait état d’une tentative de censure d’une étude scientifique de l’US Geological Survey par son propre directeur, James F. Reilly. Il aurait ainsi tenté de protéger le déploiement d’un projet pétrolier dans la NPR-A en différant la publication d’une étude sur la biodiversité dans la zone d’exploitation. Il y questionne la méthodologie employée pour la collecte des données de position géographique des animaux, méthodologie qui avait pourtant reçu un avis favorable lors d’un processus d’évaluation scientifique par les pairs. L’étude a finalement été publiée au terme d’un délai anormalement long selon des officiels du Département de l’Intérieur.

Les résultats de telles études peuvent mettre à l’arrêt le développement de projets d’exploitations dans les régions protégées telles que la National Petroleum Reserve – Alaska. En effet, tout projet doit préalablement obtenir l’autorisation de l’U.S. Fish and Wildlife Service, qui elle-même rend son avis sur la base des études de l’U.S. Geological Survey.

Finalement, si ce florilège d’événements témoigne de l’existence de la thématique de l’Arctique dans l’actualité américaine, elle n’apparaît pas dans le coeur des débats politiques. Néanmoins, il est à prévoir que les résultats de l’élection présidentielle pourront influencer significativement les projets que l’administration américaine actuelle porte en Arctique, soit en les concrétisant rapidement, soit en les mettant au contraire en sourdine. 

 

Rédacteurs :

  • Stéphane Raud, Attaché pour la Science et la Technologie
  • Julien Bolard, Attaché adjoint pour la Science et la Technologie, [email protected]

Partager

Derniers articles dans la thématique
,