Du 12 au 16 février à Chicago, à l’occasion du 200è anniversaire de la naissance de Darwin, les 6000 participants à la conférence annuelle de l’AAAS, dont le thème était : "Our planet, its origins and futures" ont pu participer à plus de 170 ateliers, sur des thèmes aussi divers que les dernières avancées en neurosciences, l’état de stress post-traumatique, l’interaction entre science, politique et religion, et naturellement, la théorie de l’évolution.
Malgré la grande diversité des thèmes abordés et de l’appartenance disciplinaire des participants, un message récurrent revenait en toile de fond: la nécessité pour les scientifiques de se faire entendre, et d’influer sur la prise de décision. En effet, la science continue d’éprouver des difficultés à se projeter dans le processus politique, et les attaques répétées sur l’enseignement de la théorie de l’évolution devant les school boards entretiennent une certaine inquiétude chez les scientifiques.
Préoccupation latente quant à la place de la science au Congrès
Plusieurs ateliers ont ainsi traité de l’interaction entre la communauté scientifique et les institutions fédérales. Autant la satisfaction était omniprésente et ouvertement affirmée, souvent par les intervenants eux-mêmes, d’avoir enfin une branche exécutive sensible aux arguments scientifiques et dans laquelle figurent de nombreux pairs (John Holdren à l’OSTP, Jane Lubchenco à la NOAA et Steve Chu au DOE en particulier), autant l’inquiétude demeure quant aux relations avec le Congrès. En effet, l’OTA (Office of Technology Assessment, équivalent de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques) ayant disparu, il reste peu d’interlocuteurs scientifiques au Capitole.
Pour pallier à cette carence de scientifiques au congrès, les dirigeants de l’AAAS ont invité les chercheurs, quel que soit leur domaine d’expertise, à aller rencontrer leur "congressman" pour leur rappeler à quel point la prise en compte de l’expertise scientifique est essentielle dans leurs fonctions. Et ce d’autant plus qu’aujourd’hui pratiquement tous les choix de société revêtent, au moins partiellement, un caractère scientifique ou technologique, comme le rappelait un ancien responsable de l’OTA.
Appel à un engagement massif
Un vibrant appel à l’engagement politique de la communauté scientifique a également été lancé par nul autre qu’Al Gore. L’ancien Vice Président et Prix Nobel de la Paix s’est en effet adressé en scéance plénière à un auditoire galvanisé. Après une présentation actualisée de sa démonstration du changement climatique et de ses impacts potentiellement dramatiques, Al Gore est passé dans un registre beaucoup plus personnel pour demander l’aide de la communauté scientifique dans son combat.
"Je demande votre aide. Je crois, au fond de mon coeur, que nous avons la capacité à faire de cette génération une de ces générations qui changent le cours de l’humanité. L’enjeu n’a jamais été aussi élevé. Nous avons la connaissance, nous avons la technologie émergente, nous avons un nouveau leadership, nous avons des ministres ("cabinet members") et des conseillers scientifiques qui sont issus de vos rangs, qui sont vos collègues" a martelé M. Gore.
Puis il a conclu, de manière très solennelle: "si je le pouvais, je vous motiverai à quitter cette ville après notre réunion et à commencer à vous engager en politique. Gardez votre "day job" (rires), mais commencez à vous impliquer dans ce débat historique. Nous avons besoin de vous."
Disponibilité requise pour les médias
L’engagement dans la sphère publique porte aussi sur le grand public. Or, ce public n’est souvent pas sensible, voire exposé, aux débats scientifiques. Lors d’un atelier traitant de la place du changement climatique dans les médias, plusieurs constats ont été dressés. Le premier est le resserrement progressif, engagé avant même la crise économique des derniers mois, mais accentué par celle-ci, de toutes les rédactions. Le résultat est une moindre couverture géographique et un focus plus local de l’immense majorité des médias. Ce phénomène ne manque pas de poser problème pour le traitement de sujets d’intérêt national et international, en tête desquels figure le changement climatique. Le second constat montre qu’une tendance vers la réduction des équipes de journalisme scientifiques est en cours, menant à des rubriques "Sciences" qui seront rédigées principalement par des journalistes politiques ou économiques. Le troisième constat révèle que l’environnement cède du terrain dans les priorités des américains, et que le changement climatique reste au 20è rang des préoccupations selon un récent sondage réalisé par le Pew Center[1].
Afin de lutter contre une paupérisation des contenus scientifiques, les organisateurs de la conférence AAAS ont donc appelé à plusieurs reprises les scientifiques à se rendre disponibles pour les journalistes, afin de les aider à relayer l’information auprès des citoyens.
Amélioration de la communication
Mais pour que le message résultant d’un engagement et d’une disponibilité accrue des scientifiques puisse passer, il est nécessaire qu’il soit correctement formaté. Rappelant en préalable le risque d’être réduit à un simple "sound bite", la consultante en communication Jane Elder a évoqué le besoin de peaufiner la communication scientifique, et notamment le besoin de communiquer sur des succès tangibles (plutôt que sur les seuls risques à venir), et d’éviter le "parler écologue latin" ("latin eco-speak") qui rend le discours ésotérique.
On percevait donc dans les couloirs de la conférence annuelle de l’AAAS, un besoin renouvelé de s’investir dans "l’outreach". Profitant des engagements pris à de multiples reprises par l’administration Obama d’examiner toutes ses décisions à la lumière des faits scientifiques et des budgets massifs que le plan de relance vient d’affecter aux agences scientifiques (NIH, NSF, DOE, NIST, etc.), les scientifiques pourraient "sortir du placard" et être nettement plus visibles dans les mois à venir.
L’AAAS : une puissante association pour la promotion des sciences
L’ American Association for the Advancement of Science (AAAS), créée en 1848, est une association professionnelle à but non lucratif, indépendante, dont la mission est "l’avancement de la science et le service à la société" par la promotion des connaissances scientifiques.
L’AAAS, forte de plus de 120.000 membres, dont 262 organisations scientifiques, et dotée d’un budget de 182 millions de dollars, est l’une des plus grandes fédérations d’organisations scientifiques au monde. Elle vise à améliorer la communication entre les scientifiques et le public, notamment en favorisant l’usage de la science dans l’élaboration de politiques publiques. Un programme extrêmement sélectif de mise à disposition de scientifiques au sein de l’administration et du congrès a été développé : les AAAS Fellowships in Science and Technology. Chaque année, une quinzaine de scientifiques chevronnés sont invités à participer dans le processus politique à travers ce programme.
L’AAAS est surtout connue du public scientifique par sa publication "phare", le journal Science, dont le tirage est à plus d’1 million d’exemplaires, ainsi que de nombreux bulletins d’information, livres et rapports. Par ailleurs, l’AAAS cherche à renforcer le soutien aux entreprises dans le domaine de la science et de la technologie, à encourager l’enseignement scientifique, et à faire progresser la coopération internationale au travers de nombreux projets de recherche et développement.
[1] Pew Research Center : Survey Report ; 22 janvier 2009
Pour en savoir plus, contacts :
– Conférence plénière d’Al Gore à la conference annuelle de l’AAAS : https://www.aaas.org/news/releases/2009/0215am_gore.shtml
– Sondage du Pew Research Center : Survey report du 22/01/09 : https://people-press.org/report/485/economy-top-policy-priority
Code brève
ADIT : 57889
Rédacteur :
Marc Magaud ([email protected])