Les tests sérologiques n’ont pas réellement satisfait les attentes fortes qu’ils suscitaient aux Etats-Unis

La question des tests sérologiques permettant de détecter une infection SARS-CoV-2 passée agitait le landernau au mois de mai dans la plupart des états américains qui souhaitaient avancer dans leurs stratégies de déconfinement tout en évitant une deuxième vague de COVID-19. Quant aux personnes qui pensaient avoir été exposées au nouveau coronavirus, elles réclamaient ardemment des tests d’anticorps ou un « certificat d’immunité » attestant de leur infection passée afin de pouvoir retravailler sans restrictions. Cette demande de tests d’immunité a été d’ailleurs alimentée par les petites, moyennes ou grandes entreprises telles Whirlpool, ou Amazon qui envisagaient de tester leurs employés régulièrement 1 2.

Ils posaient cependant déjà des questions cruciales en termes d’immunité acquise, de marge d’erreurs et de stratégie de déconfinement en lien avec l’espoir d’une immunité collective.

Quelle immunité individuelle ?

Marc Lipsich de la Harvard T.H. Chan School of Public Health a rappelé dans un article du NY Times 3 qu’il était probable qu’une infection passée, signée par la présence d’anticorps anti SARS-CoV-2 dans le sang, ne prémunissait d’une éventuelle réinfection que pendant un laps de temps limité. Son équipe a ainsi analysé statistiquement des milliers de cas d’infections aux autres coronavirus aux États-Unis et montré par modélisation que l’immunité sur un an environ était probable pour les deux coronavirus saisonniers les plus étroitement liés au SRAS-CoV-2.

Marc Lipsitch rapportait par ailleurs une étude selon laquelle sur 175 patients chinois présentant des symptômes légers de Covid-19, 70 % ont développé de fortes réponses anticorps, mais environ 25 % ont développé une réponse faible et environ 5 % n’ont développé aucune réponse détectable. En d’autres termes, il semblait possible que les personnes ayant un faible taux d’anticorps puissent recontracter le COVID-19.

Enfin, autre réserve évoquée par les chercheurs : nul ne savait pour ce nouveau coronavirus si réponse immunitaire forte était équivalent à absence de production de particules virales. A ce sujet, des chercheurs du NIH ont montré sur un modèle animal (macaque) que les animaux infectés par le SARS-CoV-2 pouvaient encore produire des particules virales en moyenne 10 jours après une séroconversion 4. Des employés pourraient donc continuer à transmettre le virus en dépit d’une séroconversion.

Quels Tests commerciaux ?

A ces questionnements sur l’immunité individuelle, s’ajoute le sujet de l’accès aux tests sérologiques, commercialisés en quantité notoirement insuffisante sur le marché américain et de leur qualité.

Dans un communiqué publié le 18 avril 5, la FDA rappelait les actions qu’elle avait mises en place afin d’accélérer la distribution commerciale de tests sérologiques.

Demandes d’autorisation d’urgence : la FDA permettait au laboratoire de demander des autorisations d’utilisation en urgence (EUA). Au mois de mai, avaient été octroyées quatre EUA pour des tests sérologiques : Cellex (North Carolina), Ortho Clinical Diagnostics (New Jersey), Mount Sinai Laboratory (NY) et Chembio Diagnostic System, Inc.

Souplesse réglementaire : la FDA ne s’opposait pas à la « commercialisation sous conditions » de tests sérologiques qui n’auraient pas été validés au préalable par ses soins (notification without an Emergency Use Authorization (EUA) pathway) Cette politique ne s’appliquait pas cependant à la collecte d’échantillons à domicile ni aux tests à domicile.

D’après le NY Times, la FDA a ainsi autorisé environ 90 entreprises, dont beaucoup basées en Chine, à vendre des tests non validés. La FDA a fait ensuite machine arrière en alertant sur l’existence de fausses déclarations et de tests non fiables (réactions croisées avec les autres coronavirus, faux positifs ou faux négatifs).

En raison de la mauvaise qualité des tests largement disponibles, et du faible nombre de tests commerciaux validés, le marché américain ne permettait pas de répondre à la demande des états qui voulaient rouvrir progressivement leur économie.

Quelle prévalence dans la population ?

Les tests sérologiques permettent aussi de connaître la prévalence de l’infection dans les populations et de savoir si certaines régions auraient déjà atteint un stade d’immunité collective. Des analyses de sérosurveillance ont commencé à être réalisé dans différentes régions des Etats-Unis dès le début mai.

  • Chelsea, ville adjacente à Cambridge et Boston, et dont 65% de la population est « latino », avait le taux le plus élevé de cas confirmés de COVID-19 dans le Massachusetts ; on comptait alors au moins 39 morts du virus, et 712 testés positifs, soit environ 2 % des résidents infectés par le SARS-CoV-2. Des chercheurs de Mass General Hospital (MGH) ont effectué 200 prélèvements dans la rue et montré grâce à un test fourni par BioMedomics et considéré comme fiable par les chercheurs de MGH, que 32% d’entre eux étaient positifs suggérant une épidémie locale en pleine expansion ! 6

  • Les premiers résultats d’une étude à grande échelle 7sur la propagation du coronavirus effectués par des chercheurs de l’USC sur un échantillon représentatif de la population de 863 adultes habitant le comté de Los Angeles ont révélé que 4,1 % des adultes avaient des anticorps contre le SAR-CoV-2. Cela signifie qu’environ 221 000 à 442 000 adultes avaient été atteints alors que moins de 8 000 cas avaient été signalés. En se basant sur un échantillon de 3300 prélèvements, des chercheurs de Stanford ont estimé que pour environ 1 000 cas signalés début avril dans le comté de Santa Clara, le nombre réel se situe entre 48 000 et 81 000. Soit pour les deux études un taux de mortalité estimé de 0,1 à 0,2 %, ce qui est plus proche du taux de mortalité associé à la grippe saisonnière. Sept pour cent des noirs de l’étude ont été testés positifs, contre 6 % des participants blancs, 4 % des Américains d’origine asiatique et 2,5 % des Latinos. Les deux comtés ont utilisé des tests rapides d’anticorps fournis par Premier Biotech, une société basée à Minneapolis.

Alors que les tests de dépistage des anticorps ont pris de l’importance et ont été de plus en plus disponibles sur le marché commercial, les préoccupations concernant l’exactitude des résultats, en particulier l’apparition de faux positifs, qui pourraient gonfler les estimations des taux d’infection, ont également augmenté. Pour mémoire, le test de de Cellex a un taux de faux positif de 5% soit autant que le taux d’infection du comté de Los Angeles !

En conclusion, l’expérience américaine a montré que les tests sérologiques ne constituait pas la panacée voulue d’une réouverture de l’économie se faisant grâce à une catégorie ciblée d’employés immunisés. Les tests d’anticorps ont montré par ailleurs que la population était encore loin d’avoir atteint le stade d’immunité collective qui permettrait de s’en passer. Ces constatations restaient d’actualité à la fin du mois de juin alors que le déconfinement rapide faisait apparaître de nouveaux foyers de contamination.


Rédacteurs : Anne PUECH (SST Boston). Contributions de Xavier BRESSAUD (SST Washington)

Notes

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