Nos lecteurs vont commencer à se lasser ! Il nous faut une nouvelle fois relater une acquisition majeure dans le domaine de la pharmacie. Certes, nous l’annoncions déjà à l’automne 2008 et nous en pressentions l’imminence dès le début de l’année 2009. Mais l’acquisition pure et simple de Shering-Plough par Merck n’a pas manqué de surprendre les experts par sa rapidité, sa forme et ses implications, surtout que l’événement coïncide avec la confirmation d’une autre opération en cours, celle de la prise de participation hostile de Roche dans Genentech.
Nous n’allons pas revenir sur le contexte de l’industrie pharmaceutique qui a été largement décrit dans nos précédentes livraisons (voir BE 156 [1] et 157 [2]). Mais une fois de plus, force est de constater que ces mouvements sont moins guidés par des logiques financières ou capitalistes que par des considérations liées au portefeuille de produits et de savoir-faire acquis ou développés par ces sociétés. En clair, les options scientifiques et technologiques qu’ont prises les entreprises dans les 10 dernières années influent sur les rapprochements actuels qui résultent d’une incapacité de l’industrie dans son ensemble de produire des composés viables à un rythme comparable à celui des années 90. Ainsi Pfizer a acquis Wyeth non seulement pour son portefeuille de produits en développement mais surtout parce que cette dernière société avait acquis un bon savoir faire dans les biotechnologies en plus d’être diversifiée.
L’acquisition de Shering-Plough par Merck peut certes apparaître moins prédatrice que celle conduite par Pfizer mais elle a un objectif similaire. L’actuel patron de Merck, M. Richard Clark, le dit lui-même : la nouvelle société est "bien positionnée pour développer une croissance durable grâce à l’innovation" et (…) va "porter à 18 le nombre de composés en phase finale de développement". Il s’agit bien de "réamorcer la pompe" [3]et de s’appuyer sur des complémentarités de l’autre société tout en tirant un avantage rapide de l’expertise de Shering-Plough dans les médicaments biotechnologiques [4] et du remarquable portefeuille de marques grand-public de cette société (Coppertone, Scholl, Claritin, etc.). Qui plus est, Shering-Plough réalise 70% de son chiffre d’affaires hors des Etats-Unis, essentiellement dans les pays émergents. De quoi offrir des perspectives économiques intéressantes pour l’acquéreur.
Les complémentarités sont grandes ; Merck a de bonnes positions de marché pour le traitement de l’asthme (Singulair génère 4,3 milliards, soit 18% de son chiffre d’affaires), de l’hypertension (Cozaar/Hyzaar), de l’ostéoporose (Fosamax) et du diabète de type 2 (Januvia). Shering-Plough concentre ses forces dans les maladies arthritiques (Remicade), les tumeurs du cerveau (Temodar), les allergies (Clarinex/Aerius) et l’hépatite (Pegintron). Shering possède également des lignes de produits contraceptifs et des anti-cholestérols (Zetia, Vytorin), ces derniers ayant été développés avec Merck. Le nouvel ensemble est appelé à réaliser un chiffre d’affaires consolidé de près de 47 milliards de dollars. A la condition toutefois que J&J ne s’invite pas dans la négociation bilatérale en mettant dans la balance l’arrangement de 2 milliards conclu avec Schering au sujet de l’anti-arthritique Golimumab. Mais cette hypothèse est peu vraisemblable, le moment et les circonstances étant mal choisis. Et puis, les trois sociétés se connaissent parfaitement bien et savent qu’un arbitrage synallagmatique vaut mieux qu’une contestation devant les tribunaux du New-Jersey…
L’acquisition sera opérationnelle à l’été 2009. Il sera alors temps de mettre en oeuvre les quelque 3,5 milliards d’économies que Merck entend réaliser dans la recherche, la production et les activités commerciales du nouvel ensemble. L’état du New-Jersey, où l’industrie pharmaceutique emploie plus de 42.000 personnes, sera très touché par la réduction de 16.000 employés prévue. Même si Shering conserve son siège social, comme Merck, au New-Jersey, on comprend bien que c’est aux Etats-Unis que vont se concentrer les plus fortes réductions d’effectifs. En recherche, même orientation. La nouvelle société va mettre la priorité sur les produits de son portefeuille qui sont à un niveau de développement élevé, essentiellement dans les domaines des maladies cardiovasculaires, du HIV (Boceprevir) et de l’arthrite (Golimumab). Merck va sans doute conforter son expertise dans les médicaments biologiques, à l’abri des génériques, au moins pour l’instant. La grande inconnue résidera dans le mode de collaboration scientifique et technologique que le nouvel ensemble souhaitera développer avec la myriade des entreprises biotechnologiques aux Etats-Unis et ailleurs [5]. Une autre incertitude concerne, comme pour Wyeth et Pfizer, la capacité de Merck à concevoir une stratégie diversifiée de portefeuille, rentable et pérenne. Dans les circonstances actuelles, la voie semble être les biotechnologies mais rien ne dit que l’avenir de la recherche pharmaceutique ne passera pas aussi par les petites molécules qui continuent d’être installées sur des marchés considérables, adossés à des problèmes de santé publique. Une recherche qui est donc censée bénéficier d’un meilleur soutien de la société mais qui fait l’objet d’un encadrement de la FDA de plus en plus rigide dès les toutes premières phases de développement. C’est un énorme défi pour la pharmacie et sa recherche.
Comme nous l’évoquions dans le BE 156 [1] et 157 [2], ces mouvements de fusion dans le secteur pharmaceutique incitent les experts américains à voir dans Bristol-Myers-Squibb Corp., Elli Lilly &Co et Sanofi les prochains acquéreurs. Déjà Sanofi manifeste de l’intérêt dans la santé animale (Merial) après que le groupe français eut reçu de bonnes nouvelles de la FDA concernant la Dronédarone (Multaq) et que son offre sur Zendiva soit désormais finalisée. J&J est, de son côté, intéressée par le matériel médical.
La preuve que les affaires continuent en cette période de crise qui aiguise plus que jamais les appétits des prétendants et qui vient définitivement clore un chapitre où les entreprises pharmaceutiques étaient dans le registre des certitudes quant à leurs capacités à produire de l’innovation par la recherche sur un seul et unique modèle d’affaires. Désormais, en plus de changer de stratégie, ces mêmes sociétés doivent se méfier des prédateurs…
[3] New York Times du 10 mars 2009
[4] Notamment grâce à l’acquisition en 2007 de la société Organon pour 14,4 milliards.
[5] Comme par exemple Mechelem (Belgique) et Insmed (Etats-Unis) que Merck a acquises en 2009.
Source :
– "Merck to Buy Schering-Plough for $41.1 Billion", Natasha Singer, New York Time, 09/03/09 – https://www.nytimes.com/2009/03/10/business/10drug.html?_r=3&hp
-"Merck et Schering-Plough fusionnent", Information Hospitalière, 10/03/09 – https://www.informationhospitaliere.com/actualite-14090-merck-schering-plough-fusionnent.html
Pour en savoir plus, contacts :
– "New Jersey Towns Worry About Merger’s Consequences", A.G Sulzberger, New York Time, 09/03/09 – https://www.nytimes.com/2009/03/10/nyregion/10reax.html?ref=business
– "CEO Richard Clark calls merger ‘transformational event’ for Merck", Susan Todd, New Jersey Business News, 09/03/09 – https://www.nj.com/business/index.ssf/2009/03/ceo_richard_clark_calls_merger.html
– [1] "Acquisition de Wyeth par Pfizer : quels impacts en matière de R&D ?" – BE Etats-Unis 156 (10/03/2009) : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58135.htm
– [2] "Acquisition de Wyeth par Pfizer : quels impacts en matière de R&D ? (suite)" – BE Etats-Unis 157 (13/03/2009) : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58160.htm
Code brève
ADIT : 58301
Rédacteur :
Antoine Mynard, [email protected]