Les essais cliniques sur les antiviraux pour combattre le SARS-CoV-2 aux USA : focus sur le remdesivir

La recherche mondiale pour venir à bout du COVID-19 progresse sur deux axes complémentaires, une stratégie de moyen terme (à échéance de 12 à 18 mois) visant la mise au point d’un vaccin anti SARS-CoV-2, et l’identification de molécules antivirales efficaces contre ce coronavirus pour une action à plus court terme.

Ce dernier thème est abordé en premier lieu par l’exploration large et le criblage de banques de molécules ; par exemple Calibr, le département de développement de médicaments du Scripps Research à San Diego, avec le soutien de la fondation Bill & Melinda Gates, utilise l’outil ReFRAME1 pour identifier les molécules qui pourraient lutter contre les virus. De même, le Drug Repurposing Hub du Broad Institute (MIT/Harvard) met à disposition de la communauté « coronavirus » une banque « curated » de 6.000 composés ayant nécessité plusieurs années de vérifications, et le Blavatnik Institute de Harvard une banque virtuelle de plusieurs millions de molécules utilisable via un logiciel de criblage gratuit et open source, VirtualFlow2.

Une deuxième stratégie de recherche anti SARS-CoV-2 consiste à réaliser des essais cliniques d’antiviraux déjà validés pour d’autres virus proches. La très médiatisée hydroxychloroquine fait l’objet de nombreux essais cliniques. D’autres antiviraux ayant démontré une efficacité sur d’autres virus sont aussi testés, dont certains pourraient constituer une solution satisfaisante. C’est notamment le cas du remdesivir produit par Gilead Sciences, qui semble l’une des alternatives les plus prometteuses.

 Le remdesivir de Gilead Sciences

Le remdesivir est un médicament antiviral initialement développé3 par Gilead Sciences contre les virus à ARN, et plus particulièrement à l’occasion de l’épidémie Ebola. Si aucune activité n’a été démontrée au final contre le virus Ebola, une activité a été mise en évidence in vitro et dans des modèles animaux contre SARS-CoV-1 et MERS-CoV (tests réalisés en 2017 à University of North Carolina, Chapel Hill).

Ce n’est que très récemment – en février 2020 – que son mécanisme d’action a été élucidé4. Il agit en inhibant l’ARN polymérase ARN-dépendante, une enzyme nécessaire à la réplication de certains virus à ARN – comme le SRAS-CoV-2 -, empêchant ainsi la réplication virale dans les cellules infectées.

Le remdesivir n’est pas approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) pour le traitement d’une quelconque infection, mais il fait l’objet d’essais cliniques pour le traitement de multiples maladies virales.

Une première utilisation à titre compassionnel dont les résultats controversés semblent indiquer une efficacité contre le SARS-CoV-2.

Le remdesivir a été utilisé à titre compassionnel au début de la pandémie de SARS-CoV-2 – janvier 2020 – pour traiter certains cas graves de COVID-195. Depuis lors, plusieurs publications scientifiques rapportent son activité anti SARS-CoV-2 in vitro. Le 10 avril 2020, des scientifiques de centres de recherche et hôpitaux de 9 pays, dont Gilead Sciences et 14 hôpitaux aux USA, et 3 centres de recherche en France6, ont publié des résultats montrant un effet positif d’une administration du remdesivir pendant 10 jours à des patients sévèrement atteints du COVID-197. Le collectif d’urgentistes EMCrit8 précise cependant dans une analyse très critique les raisons pour lesquelles ces études sont loin de démontrer un effet réel. La confirmation de l’effet anti SARS-CoV-2 du remdesivir est donc dépendante des résultats à venir des essais cliniques.

 Les essais cliniques en cours sur le remdesivir

Mi-avril 2020, une dizaine d’essais cliniques sont en cours dans le monde sur le remdesivir, soit spécifiquement sur les effets de cette molécule, soit dans des essais comparatifs avec d’autres molécules antivirales (voir détails de ces essais en Annexe).

– Le plus vaste essai, Solidarity, est réalisé sous l’égide de l’OMS.

  • Public health emergency SOLIDARITY trial of treatments for COVID-19 infection in hospitalized patients, lancé le 25/03/2020, OMS ;

– Deux essais sont pilotés par la France (INSERM et Pitié-Salpétrière) – et trois par la Chine (non listés ici) et un par la Norvège (Oslo University Hospital ; non listé ici) -.

  •  Multi-centre, adaptive, randomized trial of the safety and efficacy of treatments of COVID-19 in hospitalized adults – DisCoVeRy, lancé le 09/03/2020, INSERM ;
  • Adverse Events Related to Treatments Used Against Coronavirus Disease 2019 (CovidTox), lancé le 17/03/2020, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière ;

– Enfin, cinq essais sont dirigés par des instances américaines (trois par Gilead, un par le NIAID, un par l’US Army).

  • Adaptive COVID-19 Treatment Trial (ACTT)A Multicenter, Adaptive, Randomized Blinded Controlled Trial of the Safety and Efficacy of Investigational Therapeutics for the Treatment of COVID-19 in Hospitalized Adults, lancé le 20/02/2020, National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID).
  • Study to Evaluate the Safety and Antiviral Activity of Remdesivir (GS-5734) in Participants With Moderate Coronavirus Disease (COVID-19) Compared to Standard of Care Treatment, lancé le 28/02/2020, Gilead Sciences.
  • Study to Evaluate the Safety and Antiviral Activity of Remdesivir (GS-5734) in Participants With Severe Coronavirus Disease (COVID-19), lancé le 28/02/2020, Gilead Sciences.
  •  Expanded Access Treatment Protocol: Remdesivir (GS-5734) for the Treatment of SARS-CoV2 (CoV) Infection, lancé le 27/03/2020, Gilead Sciences.
  •  Expanded Access Remdesivir (RDV; GS-5734), lancé le 02/03/2020, U.S. Army Medical Research and Development Command.

Un médicament non approuvé par la FDA mais préempté par l’armée américaine dans une phase de pénurie de production

D’après le magazine en ligne Quartz9, le Pentagone a annoncé avoir trouvé un accord avec Gilead Sciences dans lequel la société pharmaceutique fournirait gratuitement le médicament aux militaires. Même si ce n’est pas la première fois que l’armée américaine conclut un tel accord, du fait de l’actualité, l’accord avec Gilead met en exergue la capacité unique de l’armée à acquérir des médicaments avant que la FDA ne les ait autorisés sur le marché.

Le Pentagone dispose en effet d’une équipe unique appelée Force Health Protection consacrée à la gestion et à l’achat de médicaments expérimentaux pour le compte de l’US Army Medical Materiel Development Activity (USAMMDA). Elle peut ainsi, d’après Quartz, conclure un contrat spécial « d’accord de coopération en matière de recherche et de développement » avec une organisation comme Gilead, être désignée comme « laboratoire », et avoir ainsi la capacité d’utiliser des produits médicaux expérimentaux, lorsqu’il n’y a pas de traitement réalisable ou approuvé par la FDA.

Bien que l’armée apparaisse sur le site ClinicalTrials.gov comme porteur d’un essai clinique, d’après Quartz, le contrat avec Gilead « ne fait pas partie d’un essai clinique mais d’un protocole de traitement ». Le remdesivir est administré aux personnels de l’armée qui ont été testés positifs pour le COVID-19, et certains patients ont déjà été traités.

Avec, au 9 avril 2020, plus de 2.000 membres du personnel du ministère de la défense diagnostiqués avec la maladie, la question se pose du nombre de doses que Gilead devrait fournir à l’armée. Un porte-parole de l’USAMMDA a refusé de communiquer des chiffres précis et cette information n’a pas été fournie par Gilead Sciences.

Devant l’augmentation exponentielle de demandes de ses doses de traitement, Gilead Sciences a dans le même temps annoncé qu’elle restreignait à partir du 22 mars10 l’accès au remdesivir à titre compassionnel. Pour anticiper un éventuel succès des essais cliniques en cours et un besoin massif de cette molécule à l’échelle mondiale, le CEO de Gilead, Daniel 0’Day, a déclaré le 4 avril 2020, que l’entreprise mettait à disposition gratuitement son stock actuel de 1,5 millions de doses – pour 140.000 traitements – et a identifié des voies d’accélération de la production de remdesivir, pour atteindre un objectif de production de 500.000 traitements en octobre prochain et d’1 million en fin d’année.


Auteurs : Pascal LOUBIERE et Maëlys RENAUD (SST Los Angeles), , Anne PUECH et  Sarah VADILLO (SST Boston), James DAT (SST Chicago), Renaud SEIGNEURIC (SST Houston),  Stéphane RAUD et Yves FRENOT (SST Washington)

Notes

1 : la plus grande collection au monde de médicaments connus comprenant plus de 14.000 composés (petites molécules chimiques et agents biologiques) qui ont été approuvés par la FDA pour d’autres maladies ou ont été testés pour la sécurité humaine

2 : https://virtual-flow.org/

3 : première synthèse du remdesivir (appelé 3a) publiée en 2012 par Gilead Sciences :   https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960894X12003071?via%3Dihub

4 : Etude de Gilead et University of Alberta, US:  https://www.pnas.org/content/pnas/early/2020/02/12/1922083117.full.pdf

5 : le premier patient sévèrement atteint du Covid-19 aux USA – Washington – a été traité avec succès au remdesivir (publication du 31 janvier 2020) : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2001191

6 : partenaires français de l’étude : Université de Paris, Infection, Antimicrobiens, Modélisation, Evolution (IAME), INSERM & Assistance Publique–Hôpitaux de Paris, Département des Maladies Infectieuses, Hôpital Bichat, Paris (François-Xavier Lescure), Centre Hospitalier Régional et Universitaire de Brest–La Cavale Blanche, Brest (Erwan L’Her), et Division de Maladies Infectieuses et Médecine Tropicale, CHU de Bordeaux, Bordeaux (Duc Nguyen) 

7 : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2007016

8 : critiques des études : (i) Elles n’ont pas été réalisées en double aveugle (implique un résultat favorable résultant potentiellement d’un hasard statistique) ; (ii) la méthodologie est faible (définition de la taille de l’échantillon, critères d’études, critères d’arrêt, etc …) ; (iii) sélection non transparente des patients recevant le remdesivir (implique un choix possible par Gilead des patients les plus à même de guérir, et donc un résultat positif surévalué) ; (iv) absence du tableau clinique de chaque patient (implique que certains patients peuvent avoir été inclus avec des symptômes initialement relativement peu sévères) ; (v) absence des raisons des sorties d’études (implique que des patients ont potentiellement arrêté de prendre le remdesivir pour intolérance, aggravation de leurs symptômes, etc..)

9 : https://qz.com/1834939/how-the-military-secured-experimental-covid-19-drug-remdesivir/

10 : https://www.statnews.com/2020/03/22/gilead-suspends-access-to-experimental-covid-19-drug-remdesivir/

 

ANNEXE: Données complémentaires sur les essais cliniques sur le remdesivir

– Essai Solidarity, réalisé sous l’égide de l’OMS.

  • Public health emergency SOLIDARITY trial of treatments for COVID-19 infection in hospitalized patients, lancé le 25/03/2020, OMS, 10.000 patients;

Le 20 mars, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé un vaste essai mondial, appelé SOLIDARITY, pour comparer l’effet des quatre antiviraux les plus prometteurs contre le SARS-CoV-2. A savoir : le composé antiviral expérimental remdesivir; les médicaments contre le paludisme chloroquine et hydroxychloroquine; une combinaison de deux médicaments anti-VIH, le lopinavir et le ritonavir; et cette même combinaison plus l’interféron bêta, un messager du système immunitaire qui peut aider à paralyser les virus. 

– Essais pilotés par la France (INSERM et Pitié-Salpétrière). 

  • Multi-centre, adaptive, randomized trial of the safety and efficacy of treatments of COVID-19 in hospitalized adults – DisCoVeRy, lancé le 09/03/2020, INSERM, 3100 patients;

Le 22 mars, l’INSERM a annoncé qu’elle coordonnait un essai complémentaire en Europe, baptisé DisCoVeRy, qui suit l’exemple de l’OMS et comprend 3100 patients d’au moins sept pays, dont 800 de France. Cet essai teste les mêmes médicaments que l’OMS, à l’exception de la chloroquine. 

  • Adverse Events Related to Treatments Used Against Coronavirus Disease 2019 (CovidTox), lancé le 17/03/2020, Groupe Hospitalier Pitié-Salpétrière, 1000 participants ;

Cette étude examine les rapports d’événements indésirables liés aux molécules utilisées, y compris, mais sans s’y limiter, les inhibiteurs de protéase (lopinavir / ritonavir), la chloroquine, l’azithromycine, le remdesivir et l’interféron bêta-1a. 

Essais dirigés par des instances américaines

  • Adaptive COVID-19 Treatment Trial (ACTT)A Multicenter, Adaptive, Randomized Blinded Controlled Trial of the Safety and Efficacy of Investigational Therapeutics for the Treatment of COVID-19 in Hospitalized Adults, lancé le 20/02/2020, par le National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID), 440 patients de 18 à 99 ans ; 54 hôpitaux impliqués, dont 44 sur l’ensemble du territoire US, et dans 7 autres pays (aucun en France) ;

Protocole : 200 mg de remdesivir administrés par voie intraveineuse le jour 1, suivi d’une dose d’entretien de 100 mg une fois par jour de remdesivir pendant la durée de l’hospitalisation jusqu’à une durée totale de 10 jours ; Placebo: même protocole mais avec remdesivir placebo. Résultats attendus en avril 2023.

  •  Study to Evaluate the Safety and Antiviral Activity of Remdesivir (GS-5734) in Participants With Moderate Coronavirus Disease (COVID-19) Compared to Standard of Care Treatment, lancé le 28/02/2020, Gilead Sciences, 1600 patients de plus de 12 ans ; 165 hôpitaux impliqués sur l’ensemble du territoire US et dans 11 autres pays (dont les CHU de Montpellier et Nantes en France) ;

Protocole : Les participants recevront une thérapie standard de soins continue avec remdesivir 200 mg le jour 1 suivi de remdesivir 100 mg pendant 5 ou 10 jours. Résultats attendus en mai 2020

  •  Study to Evaluate the Safety and Antiviral Activity of Remdesivir (GS-5734) in Participants With Severe Coronavirus Disease (COVID-19), lancé le 28/02/2020, Gilead Sciences, 2400 patients de plus de 12 ans ; 133 hôpitaux impliqués sur l’ensemble du territoire US et dans 11 autres pays (dont les CHU de Bordeaux, Montpellier et Nantes en France) ;

Protocole : Les participants qui ne sont pas ventilés mécaniquement recevront une thérapie standard de soins continue avec remdesivir 200 mg le jour 1 suivi de remdesivir 100 mg pendant 5 ou 10 jours. Résultats attendus en mai 2020.

 Le principal objectif des 2 essais ci-dessus est de vérifier si le protocole d’administration du remdesivir peut être réduit de 10 à 5 jours avec les mêmes effets positifs sur le traitement de la maladie.

  •  Expanded Access Treatment Protocol: Remdesivir (GS-5734) for the Treatment of SARS-CoV2 (CoV) Infection, lancé le 27/03/2020, Gilead Sciences; patients adultes répartis dans 22 hôpitaux sur l’ensemble du territoire US et dans 3 autres pays (dont le CHU de Poitiers en France);

Protocole : Perfusion intraveineuse de remdevisir administrée sur une période de 30 à 120 minutes.

  •  Expanded Access Remdesivir (RDV; GS-5734), lancé le 02/03/2020, U.S. Army Medical Research and Development Command.

Cet essai correspond à un protocole de traitement ; Le remdesivir est administré aux personnels de l’armée qui ont été testés positifs pour le COVID-19.

 

 

 

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