Joe Biden annonce un ciel sans nuage pour la recherche sur le climat et l’environnement

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Le président élu Joe Biden prévoit de déployer une politique climatique “progressiste” en alignant les Etats-Unis, deuxième émetteur mondial de carbone et premier émetteur historique, avec le groupe des nations qui s’attaquent frontalement au réchauffement climatique. Pendant la campagne électorale, Joe Biden s’est engagé sur un programme climatique de 2 000 milliards de dollars qui se décline selon plusieurs axes, dont 400 milliards alloués pour la recherche et le développement d’énergies propres.

Il a d’abord promis de rejoindre l’Accord de Paris sur le climat lors de son premier jour au pouvoir, afin de renverser le retrait orchestré par le président Trump. Il a également annoncé vouloir atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050, ce qui en ferait la septième nation à se fixer un tel objectif. Le président a appelé les États-Unis à disposer d’un réseau électrique non émetteur de gaz à effet de serre (GES) dans 15 ans, l’un des objectifs les plus ambitieux au monde. 

Cette élection ouvre la voie à une remise en cause des nombreux décrets de l’ère Trump ayant, par exemple, mis fin aux plafonds sur les émissions de méthane pour l’industrie pétrolière, assoupli les normes nationales d’efficacité énergétique, augmenté le niveau d’émission des véhicules… mais également au déploiement de stratégies de résilience face aux catastrophes naturelles.

L’élection américaine relancera sans aucun doute la dynamique internationale pour limiter le changement climatique, tandis que la recherche sur le climat et l’environnement devrait également profiter de cette nouvelle administration plus sensible à l’expertise scientifique. 

Les principales orientations annoncées en faveur de la recherche pour l’environnement et le climat

S’il y a bien un thème cristallisant les divergences entre les priorités politiques des deux candidats, c’est celui du changement climatique. La thématique omniprésente dans de nombreux paragraphes du programme du président élu constitue ainsi une des ossatures de son projet, à l’opposé de son adversaire républicain. Son programme rappelle l’urgence climatique et la nécessité d’y “apporter une réponse systémique” en l’intégrant dans l’ agenda de “toutes les agences fédérales”. Il promet d’engager ses actions à l’écoute des recommandations d’experts scientifiques, opérant ainsi un virage à 180° par rapport à l’administration précédente. 

Le programme du président élu énonce plusieurs priorités pour la recherche en sciences de l’environnemental et du climat :

  1. La création d’une agence de recherche intitulée Advanced Research Projects Agency for Climate spécialisée en innovation bas-carbone. Cette agence aura pour mission le développement de technologies : 
    1. de stockage par batterie lithium-ion à faible coût, 
    2. des “petits réacteurs nucléaires modulaires” ; 
    3. réfrigérantes qui ne produisent pas de gaz à effet de serre ; 
    4. pour des bâtiments autonomes énergétiquement ; 
    5. qui baissent les coûts de production d’hydrogène décarboné ; 
    6. pour l’innovation et la décarbonisation de l’industrie de l’acier, du béton, de la chimie et des matériaux de construction ;
    7. pour la décarbonisation du secteur agroalimentaire et des technologies agricoles de capture de carbone ;
    8. pour la capture du carbone en sortie de centrales électriques.
  2. La mise en place de soutiens et de programmes pour :
    1. une R&D dans les domaines des biocarburants ; 
    2. l’émergence d’une agriculture organique, bas carbone, résiliente et durable ;
    3. le développement de technologies de mobilité électrique ;
    4. le développement d’infrastructures pour l’énergie, l’eau et la gestion des déchets en accord avec les standards environnementaux.
  3. Le programme mentionne l’objectif d’écouter les recommandations scientifiques pour : 
    1. rétablir des quotas d’émission de l’industrie énergétique ;
    2. préparer les communautés aux catastrophes climatiques et consolider leur résilience.
  4. Par ailleurs, la nouvelle équipe indique vouloir soutenir les programmes de recherche de la NASA et de la NOAA en matière d’observation de la Terre et analyse des conséquences du changement climatique sur la société et également la restauration des financements américains pour le GIEC.

Il est important de garder en mémoire que le Comité restreint sur la Crise Climatique de la chambre des représentants avait publié fin juin 2020 une proposition de feuille de route à destination du Congrès pour la résolution de la crise climatique. Cette feuille de route contenait en particulier un chapitre entier consacré au soutien à la recherche en sciences du climat, dessinant ainsi les contours d’un projet législatif en accord avec les recommandations scientifiques.

Le programme pour la recherche scientifique de Joe Biden s’oppose donc diamétralement à celui de l’administration Trump. En effet, le programme électoral de Donald Trump publié le 23 août 2020 ne contenait aucune mention du changement climatique ou de l’intérêt de renforcer les sciences du climat.

Une société américaine plus sensibilisée à la question climatique.

La prise de fonction de Joe Biden devrait s’effectuer alors qu’une majorité croissante des américains soutient le principe d’actions pour le climat. Dans un sondage effectué le 27 octobre par la station publique PBS, la question du climat devient la troisième priorité après l’économie et la COVID. Une étude conduite par l’université de Yale montre que 82% des américains soutiennent l’idée d’une énergie propre à 100%.

Le soutien républicain sur la question climatique et la prise en compte des faits scientifiques s’accroît. Avec la perspective d’un Sénat à majorité républicaine, une législation climatique majeure et le déploiement de programmes scientifiques importants dépendra, en partie, de leur volonté d’agir et à la capacité de Joe Biden de favoriser un processus bipartisan pour un changement systémique.

Concernant le monde économique, les années Trump auront été marquées par des annonces et des engagements de plus en plus ambitieux en faveur du climat de la part d’entreprises emblématiques qui se sont notamment regroupées au sein de l’initiative “We’re still in. Ces entreprises qui comprennent la science, écoutent leurs investisseurs, leurs clients et leurs employés, perçoivent ainsi les risques d’une inaction mais également les opportunités offertes par une économie décarbonée. Elles attendent de l’administration Biden une politique et une réglementation stable et cohérente.

La nécessité de reprendre en main les agences fédérales.

Quelques jours après les élections, l’administration Trump a nommé un négationniste du changement climatique pour diriger l’élaboration de la 4ème évaluation nationale du climat et son impact (US National Climate Assessment). David Legates, tout récemment nommé « deputy Assistant Secretary of Commerce for observation and prediction » à la NOAA et connu pour ses positions contre le consensus international doit remplacer Michael Kuperberg (Executive Director of the U.S. Global Change Research Program). Ce document quadriennal, retardé par l’administration Trump et reporté à 2023, implique 13 agences fédérales et de nombreux scientifiques américains qui établissent un état des lieux de l’impact du changement climatique aux Etats-Unis. 

La prise de fonction de la nouvelle administration est donc particulièrement attendue par la communauté scientifique américaine. L’élection de Joe Biden revêt une importance particulière pour les scientifiques de l’Environmental Protection Agency (EPA) qui ont souffert des efforts de Trump pour faire reculer la réglementation, renforcer l’influence de l’industrie ou contredire les consensus scientifiques pour l’élaboration de règles visant à réduire la pollution et protéger la santé publique.

Par ailleurs, il est probable que l’administration Biden reviendra sur les nominations récentes au sein de la NOAA. En octobre dernier, Craig McLean, le scientifique en chef de l’agence a été remplacé par le météorologue Ryan Maue lié au think tank libertaire Cato Institute et connu pour minimiser la gravité du changement climatique. Maue ayant été rejoint par un climatosceptique, le professeur David Legates (cité précédemment) de l’Université du Delaware au poste de secrétaire adjoint créé pour l’occasion. 

Quelques réactions de la communauté scientifique.

L’organisation « Union for concerned scientists » estime que l’administration Biden devrait procéder à l’abrogation de toute une série de décrets de l’administration Trump tels que le décret exécutif 13771 qui alourdit les procédures pour instaurer de nouvelles normes contre la pollution atmosphérique, le décret exécutif 13766 qui assouplit les règles pour l’obtention de permis pour les projets d’infrastructure, ainsi que le décret exécutif 13875 qui exige l’élimination du tiers des comités scientifiques consultatifs fédéraux ou le décret exécutif 13957 qui facilite le licenciement de scientifiques fédéraux qui ne suivent pas les orientations de l’administration. 

A noter que les enjeux liés à la biodiversité sont peu mentionnés dans le programme Biden comme le rappelle Shahid Naeem, professeur en Ecologie à la Columbia University, alors que l’initiative démocrate “30 by 30” suggère d’écouter la science pour l’établissement de politiques de conservation de la nature.

Enfin, plusieurs voix s’élèvent déjà pour demander plus d’argent public pour la recherche académique, en particulier dans les domaines de l’environnement et du climat. Le milieu universitaire met traditionnellement l’accent sur la recherche fondamentale, alors que les laboratoires fédéraux s’impliquent plus sur les défis sociaux. Pour obtenir un plein engagement des chercheurs sur les objets de recherche appliqués, l’administration Biden devra simultanément assurer de son soutien long terme sur la recherche fondamentale.

Revaloriser la parole scientifique et protéger l’intégrité des chercheurs.

La question de l’intégrité scientifique, particulièrement mise à mal pendant ces dernières années, est évoquée par Roger Pielke, professeur de sciences environnementales à l’université de Boulder. Il appelle à la mise en place d’une législation harmonisée visant à limiter la diversité des statuts existants entre les agences mais aussi entre les organismes de recherche. Cette harmonisation renforcerait l’intégrité scientifique des chercheurs, la protection des fonctionnaires menacés par les agences et la capacité du Congrès à contrôler le pouvoir exécutif sur ces questions. Un projet de loi pertinent avait été présenté à la Chambre en 2019 avec le soutien de plus de 200 représentants.

A nouveau, l’administration Biden aura l’occasion de chiffrer le coût social des émissions carbone, en tenant compte des recherches les plus à jour. Les experts du climat ont fait valoir que les estimations de l’administration Trump ($7 par tonne) ou celle de l’ère Obama ($42 par tonne) sont trop faibles. Certaines études récentes indiquent que la mesure devrait être bien au-dessus de 100 $ par tonne de CO2.  

De nouvelles perspectives

Ces dernières semaines, l’administration Trump a poursuivi son affaiblissement des instruments et des dispositifs américains de protection de l’environnement. De nombreux observateurs anticipent une “furie de décrets” de dérégulation avant son départ.

Cependant, l’élection de Joe Biden ouvre la voie à un effort mondial accéléré de lutte contre le changement climatique à un moment où la chaleur record, les incendies de forêt et les ouragans frappent les communautés de différents états aux États-Unis. Son équipe considère que les dommages engendrés par l’administration Trump nécessitent un effort soutenu pour une reprise en main effective, en particulier lorsqu’il s’agira de rétablir les compétences et la confiance dans les organismes et les agences de recherche fédéraux.

Les conseillers du président élu suggèrent de créer un nouveau conseil national sur le Climat équivalent au Conseil économique national existant pour coordonner et conduire la politique climatique de l’administration. Un comité de réflexion et de préfiguration est actuellement en cours de constitution autour de plusieurs décideurs, dont plusieurs issus de l’administration Obama. Avec l’aide de 150 experts, le groupe préparerait des recommandations pour 11 administrations fédérales, dont la NOAA et l’EPA impliquées dans le domaine scientifique.

Le président élu Joe Biden a également procédé à toute une série de nominations pour constituer son équipe de transition dont celles qui concerne l’EPA qui sera animée par Patrice Simms, aujourd’hui vice-président for healthy communities at Earthjustice.

A noter également la nomination le 10 novembre de Cristin Dorgelo à la tête de l’équipe qui prépare la transition de l’Office for Science and Technology Policy (OSTP). Jr.Cristin Ann Dorgelo était jusqu’ici la présidente émérite de l’Association des centres scientifiques et technologiques après avoir été chef de cabinet au Bureau de la politique scientifique et technologique à la Maison Blanche de Barack Obama.

Cependant, la nouvelle administration qui sera certainement plus à l’écoute des scientifiques, devra veiller aux mécanismes consultatifs existants. Le gouvernement américain compte actuellement plus de 1 000 organismes ayant une mission officialisée par la loi sur les “comités consultatifs fédéraux”. L’équipe de J. Biden devra s’assurer que ces comités sont bien composés d’experts indépendants, sélectionnés pour leurs compétences, avec une mission clairement définie.

 

Rédacteurs : 

  • Stéphane Raud, Attaché pour la Science et la Technologie – Washington, DC
  • Julien Bolard, Attaché adjoint pour la Science et la Technologie – Washington, DC – [email protected]

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