Un roi de l’Antiquité pour guérir les allergies à la cacahuète

Des enfants ont perdu leur allergie à la cacahuète grâce à une méthode de désensibilisation spécifique, ou mithridatisation [1]. Suivis médicalement au "Duke University Medical Center" (Caroline du Nord) et à l’"Arkansas Children’s Hospital", ils ont absorbé des doses journalières de cacahuète, à une concentration très faible au départ, puis augmentée au cours du temps, et sont devenus insensibles au bout de quelques mois. Les résultats de cette étude ont été présentés lors du congrès de l’"American Academy of Allergy, Asthme and Immunology" du 13 au 17 mars 2009 à Washington DC.

Environ trois millions d’enfants américains souffrent d’allergie alimentaire (source: National Center for Health Statistics, 2007), et les allergies aux noix et aux cacahuètes sont les plus nombreuses. Ces fruits représentent aujourd’hui la première cause de mortalité suite à des réactions allergiques (voir BE 283, "La cacahuète, ennemi public numéro un ! "). En outre, beaucoup d’enfants sont sensibilisés aux allergènes [2] des cacahuètes in utero, puis par le lait maternel, et seul un cinquième des enfants allergiques aux cacahuètes perdent cette sensibilité en grandissant. Environ la moitié des 150 décès attribués aux allergies alimentaires chaque année aux Etats-Unis sont causés par les allergies aux cacahuètes, selon l’"Université Duke". Bien qu’il existe des médicaments pour traiter les réactions allergiques, il n’en existe pas pour soigner les allergies alimentaires.

Les chercheurs ont mis en place un protocole de mithridatisation [1] qui consiste à ingérer des doses croissantes d’un produit toxique afin d’acquérir une insensibilité ou une résistance vis-à-vis de celui-ci. Ils ont suivi des enfants allergiques à la cacahuète pendant cinq ans pour déterminer si l’absorption journalière de quantités d’arachide tout d’abord minimes puis progressivement augmentées, pourrait changer la réponse du système immunitaire. Le traitement utilisait au départ une dose de cacahuète qui était très faible: un millième de cacahuète. De huit à 10 mois plus tard, les enfants absorbaient l’équivalent de 15 cacahuètes par jour, sous forme de poudre saupoudrée sur les aliments. Les enfants ont gardé cette dose d’entretien journalière, pendant plusieurs années et ont été suivis médicalement. Plus précisément, neuf enfants sur trente trois ayant participé à l’étude ont suivi une thérapie de maintenance pendant plus de deux ans et demi. La plupart des enfants ont toléré la thérapie sans développer de réactions allergiques et quatre enfants sont sortis de l’étude car il pouvaient dorénavant consommer des cacahuètes dans le cadre d’un régime varié.

Un des tests utilisés dans cette étude concerne l’immunoglobuline E (IgE), l’anticorps principalement impliqué dans les reactions allergiques. "Les enfants de l’étude ont divisé par dix leur niveau d’IgE entre le début et la fin du traitement", explique le Dr Burk, chef de la division d’immunologie et d’allergie pédiatrique au " Duke University Medical Center". Pour la première fois, une tolérance à long terme chez des enfants ayant une allergie à la cacahuète serait démontrée par la présence de changements immunologiques.

Mais le Dr Burk reste prudent, car " le nombre d’enfants ayant arrêté leur traitement est trop faible pour savoir si ces enfants ont tout simplement perdu leur allergie ou si la thérapie a servi à quelque chose dans l’amélioration de ce résultat".

Dans une seconde étude, cette fois-ci en aveugle, les chercheurs ont donné le traitement à 12 enfants et un placebo à 6. Après 10 mois, les enfants ont été exposés aux arachides. Dans le groupe placebo, les enfants ont développé des symptômes après l’ingestion de l’équivalent d’une cacahuète et demi. Dans le groupe traité, les enfants ont toléré 15 cacahuètes sans développer de symptômes allergiques. Le plan d’étude prévoit d’ inscrire au moins 80 enfants au cours des prochaines années afin d’évaluer le traitement.

Le Dr Burks ajoute que (…) "des études complémentaires sont nécessaires avant qu’un traitement soit disponible hors d’un établissement de recherche", et certains enfants trop sensibles aux allergènes de cacahuète ne pourront pas suivre cette thérapie.

Les études ont été financées pars les "National institute of Health" (NIH), le "Food Allergy and Anaphylaxis Network", le "Food Allergy Project", la Fondation Gerber et la "Robins Family Foundation".

[1] La mithridatisation consiste à ingérer des doses croissantes d’un produit toxique afin d’acquérir une insensibilité ou une résistance vis-à-vis de celui-ci. Le mot a pour origine le roi Mithridate VI (le Grand), né en 132 av. J.-C. dans la ville grecque de Sinope, capitale du Pont. Craignant un éventuel empoisonnement par ces ennemis, il voulut acquérir une connaissance parfaite des poisons et de leurs antidotes afin de s’en préserver. Selon la légende, il serait parvenu à s’immuniser en absorbant régulièrement et quotidiennement une quantité très petite mais progressivement croissante de petites doses de poison. Battu par Pompée, il aurait voulu se donner la mort en s’empoisonnant, mais ne put mourir qu’en se faisant tuer par un mercenaire. Une application médicale actuelle est la désensibilisation spécifique a un allergène, par exemple le venin des hyménoptères.

[2] Un allergène est une substance capable de provoquer une réaction allergique chez un sujet préalablement sensibilisé. Comme une faible exposition à l’allergène peut déclencher une réaction, les personnes allergiques sont obligées d’éviter la consommation de toute nourriture contenant cet allergène ou ayant été préparée dans une usine ayant utilisé cet allergène. Les symptômes associés à une allergie alimentaire sont variables (maux d’estomac, réactions cutanées légères) et peuvent aller jusqu’à à une obstruction des voies respiratoires.

Source :

– "Studies show children can complete treatment for peanut allergies and achieve long-term tolerance" – Eurekalert – Debbe Geiger – 15/03/2009 – https://www.eurekalert.org/pub_releases/2009-03/dumc-ssc030609.php
– "Treatment for Peanut Allergies Shows Promise" – The New York Times – Tara Parker Pope – 15/03/2009 – https://www.nytimes.com/2009/03/16/health/16peanuts.html

– " La cacahuète, ennemi public numéro un ! " – BE Etats-Unis S&T Presse numéro 283 (14/05/2002) – Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT – https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/8279.htm
– "La mithridatisation" – https://www.vulgaris-medical.com/encyclopedie/mithridatisme-mithridatisation-3054.html
– "Mithridate VI (le Grand)" – Wikipédia – https://fr.wikipedia.org/wiki/Mithridate_VI

Pour en savoir plus, contacts :

– "Food Allergy Among U.S. Children: Trends in Prevalence and Hospitalizations" – National Center For Health Statistics – Data Brief numéro 10 – Octobre 2008 – https://www.cdc.gov/nchs/data/databriefs/db10.htm
– "American Academy of Allergy Asthma and Immunology" – https://www.aaaai.org/
– "The Food Allergy & Anaphylaxis Network" – https://www.foodallergy.org/
Code brève
ADIT : 58294

Rédacteur :

Alexandre Touvat ([email protected])

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