Restructuration de la recherche climatique américaine: vers une modélisation accrue des impacts et une meilleure prise en compte des sciences sociales

Du 2 au 7 mars 2009 s’est déroulée à Washington une semaine d’intenses préparatifs diplomatiques en vue de la conférence de Copenhague, laquelle devra jeter les bases du traité Post-Kyoto. Le Ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire, Jean-Louis Borloo, est venu rencontrer ses homologues américains ainsi que plusieurs Thinks Tanks, ces cercles de réflexion proches de l’Administration. Il était accompagné de Brice Lalonde, Ambassadeur en Charge des Négociations Climatiques. En marge de sa participation à des manifestations telles que le Stern Symposium (d’après Lord Nicolas Stern), M. Lalonde s’est rendu au Heinz Center où Bob Corell lui a présenté un modèle simulant les effets des engagements pris dans une négociation multilatérale sur la limitation des émissions de CO2.

Ce modèle, développé par le "Sustainability Institute", Ventana Systems et le MIT, baptisé "C-Roads" ("Climate Rapid Overview and Decision-support Simulator"), est un outil de simulation précisément destiné aux décideurs. Il permet de faire varier les émissions par zones géographiques (Etats-Unis, Chine, G8, etc.) et d’observer les phénomènes climatiques à l’échelle globale. La simulation faite par Bob Corell consistait à entrer dans le modèle tous les engagements de réduction des émissions pris aujourd’hui par les parties à la conférence de Copenhague. Effectuée en temps réel, celle-ci révèle que si tous les engagements étaient appliqués (une gageure en soi), la concentration en CO2 atmosphérique atteindrait plus de 600 ppm en 2100 (à comparer aux 900 ppm prévus par le GIEC dans un scénario "business as usual" et aux 450 ppm recommandés pour rester en deçà des 2°C d’augmentation de la température du globe). Si l’on en croit ces prévisions, il convient d’accentuer les préparatifs à l’inéluctable adaptation qui nous attend.

Au cours de la semaine précédant cette rencontre sortait le dernier rapport de l’Académie des Sciences traitant de la recherche américaine sur le changement climatique. Ce second rapport, intitulé "Restructuring Federal Climate Research to Meet the Challenges of Climate Change", projette les besoins futurs de la recherche américaine dans plusieurs domaines nécessaires à la prise de décision. Il prescrit le développement des capacités d’observation et de modélisation à l’échelle régionale – et décennale – l’accroissement des moyens de recherches sur l’adaptation et la vulnérabilité, le démarrage d’un programme d’évaluation périodique des impacts et des réponses apportées, et la transmission régulière d’informations scientifiques, d’outils et de prévisions aux décideurs. Le rapport conclut que le Climate Change Science Program (CCSP) doit impérativement élargir le champ des recherches fédérales à la prise en compte des impacts du changement climatique sur la société, tout en améliorant la recherche et la compréhension des causes et des processus qui s’opèrent.

Le comité de rédaction, présidé par Veerabhadran Ramanathan, du Scripps Institution of Oceanography, à San Diego, estime que le programme a jusqu’à présent été bridé par son manque de recherches dans les sciences sociales et par la césure entre recherche en sciences naturelles et en sciences sociales. Selon les auteurs du rapport, le CCSP devrait adopter une approche holistique, travailler de manière pluridisciplinaire et impliquer les décideurs ainsi que les autres parties prenantes.

Partant du constat que le changement climatique sera inévitable, le rapport suggère qu’il faudra plus de précision (informations de niveau régional et local), et un accroissement de la durée prédictive : "l e CCSP devra posséder la capacité à expliquer ce qui se passe et pourquoi". C’est donc un vaste effort d’organisation et de structuration des intervenants de toute la chaine de R&D qui est requis pour déterminer les rôles et responsabilités dans l’observation, l’archivage et la diffusion des données ainsi collectées.

Alors que les négociations s’engagent au Congrès sur la mise en oeuvre d’un système de permis d’émission de CO2 et que les dernièrs résultats présentés par Chris Field 1 révèlent une augmentation des émissions plus rapide que dans le scénario le plus défavorable du GIEC, les conclusions de ce rapport permettront à l’Administration de justifier l’impulsion donnée par le plan de relance budgétaire. Si elles sont mises en oeuvre, elles devraient stimuler la production de nouvelles données et fournir aux décideurs politiques de meilleures synthèses, comme l’illustre le modèle C-Roads du "Heinz Center".

[1] Center for Global Ecology à Stanford University

Source :

– Communiqué de presse de l’Académie des Sciences: https://www8.nationalacademies.org/onpinews/newsitem.aspx?RecordID=12595
– Rencontre de l’Ambassade de France aux Etats-Unis avec le Heinz Center, le 3/03/09

Pour en savoir plus, contacts :

– Climate Interactive: modélisation de négociations "Climat": https://climateinteractive.org/simulations/C-ROADS
– Washington Post du 15/02/09: "Scientists: pace of climate change exceeds estimates" https://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/02/14/AR2009021401757.html
– Heinz Center for Science, Economics and the Environment: https://www.heinzctr.org/
Code brève
ADIT : 58162

Rédacteur :

Marc Magaud ([email protected])

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